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Le banditisme en Corse

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D’« HONNEUR » DEVENU « GRAND »

Le banditisme en Corse a pris des formes depuis des millénaires liées aux particularités du territoire insulaire et à l’insularité elle-même, mais aussi à la structure sociale et tout particulièrement l’organisation familiale, avant de connaître de nouveaux développements à la faveur du changement de modèle économique.

Par Charles Marcellesi, médecin 

Dichotomie de la loi sociale 

Un peu comme dans la Barbaggia sarde et par exemple dans le village d’Orgosolo, les populations de certaines vallées de Corse, comme le Haut-Taravo, vivaient depuis la préhistoire, en partie au moins, de razzias au détriment de leurs riches voisins des vallées contigües, tels les éleveurs et agriculteurs de Bastelica. 

Des sujets natifs de ces vallées ont perpétué par la suite des formes d’activités pas toujours licites et même fourni préférentiellement les effectifs du milieu corse sur le continent ou ailleurs jusqu’à une date récente. Toutefois, c’est la contingence historique de l’insularité comme recueillant un isolat culturel, héritage d’une lointaine influence indo-européenne vers les 3000 av. J.-C, qui a perpétué une forme de justice familiale privée, la vendetta, déterminant en Corse un fonctionnement social fondé sur une dichotomie durable de la loi : à côté de la loi coutumière de la vendetta, c’est de l’Étranger que venait de façon plus ou moins consentie, la loi écrite qui régissait les aspects de la loi sociale autres que les questions d’honneur entre familles (ce qui deviendra in fine le « Code Napoléon ») . L’honneur, c’est ce qui garantissait à une famille dans sa quête d’influence et donc d’alliances avec d’autres familles, la maîtrise de l’échange des femmes et des politiques matrimoniales : l’infraction déclenchait la vendetta. Le meurtrier par vendetta devenait bandit « d’honneur », en règle avec la loi coutumière, s’installant dans l’espace sauvage (« le maquis ») mais toujours soutenu par sa famille alors qu’il était en infraction avec la loi pénale et à ce titre officiellement recherché par les « autorités ».

Espace insulaire et identité 

Toutefois Pascal Paoli à la fin du xviiie siècle vit la vendetta comme un obstacle au fonctionnement d’un État moderne qui aurait substitué à la loi de l’Étranger une structure de pouvoir émanant de la société corse : la giustizia paolina déclara la guerre aux vendettas privées, détruisit les maisons familiales et supprima même les patronymes des contrevenants. Après l’acquisition de la Corse par la France et Ponte Novu, on assiste au xixe siècle, à une recrudescence intense des vendettas et de facto à la multiplication des bandits d’honneur réfugiés dans le maquis, parfois figures hautes en couleur et promues en leur temps au rang d’attractions touristiques. Cet état de fait tentait de réactiver et de rendre actuelle la dichotomie signalée de la loi en Corse entre loi administrative émanant d’une Autorité jugée « étrangère » par commodité et loi coutumière de la vendetta. Comme cela est vrai pour une autre figure de la société corse de l’époque, le berger, l’insularité structure un rapport privilégié du corps des sujets à l’espace physique en termes de circulation, d’habitat et d’activités économiques (ou pour le bandit de survie, ce qui servira d’ailleurs à une époque récente de modèle aux clandestins de la Résistance ou à ceux des luttes nationalistes), et toujours référé pour constituer une identité à un axe de signification symbolique portant « l’amour de la famille ». Toutefois l’exode rural qu’a connu la Corse, la dévitalisation des communautés villageoises qui étaient l’espace de survie de cette société corse traditionnelle et le développement de l’urbanisation, vont entraîner un changement de l’organisation familiale qui va perdre sa spécificité de parentèle très étendue regroupée dans les mêmes maisons ou hameaux, pour devenir identique au modèle de la famille française continentale (1970). Au trait symbolique de « l’amour de la famille » est substitué celui, dérivé, de « l’amour du frère », mutation qui occasionnera les deux dernières « vendettas » : l’une déplacée sur le terrain politique entre « frères » nationalistes, l’autre sur le terrain d’une nouvelle forme de banditisme, celle de rejetons de la bonne société urbaine corse, « frères » en banditisme partis s’enrichir sur le continent par de fastueux braquages pour en réinvestir le produit dans des secteurs entiers de l’économie insulaire, cycle qui vient de s’achever avec une vendetta poursuivie entre les anciens complices sur deux générations.

Économie et banditisme 

Ainsi entre-temps, le bandit corse d’honneur avait déjà été expulsé de son espace sauvage par les opérations quasi militaires menées en 1931 par les actions de l’État. Le déclin de l’influence familiale, la confrontation de la société corse au nouveau modèle économique promu par le discours du marché des capitaux, ont abouti à des activités de grand banditisme, contrôlées au niveau de portions de l’espace insulaire, qui ont tenté de coloniser un nouvel espace physique (spéculation immobilière, gestion des déchets) et social (activités liées au tourisme). 

Les dernières élections régionales semblent indiquer que les corses souhaitent comme réponse à ces maux une gestion transparente de leurs affaires, avec au moins plus d’autonomie et un contrôle démocratique.

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