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SAMU SOCIAL EN CORSE

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LA RUE ET LE VILLAGE

Lors du lancement d’un Samu social en Corse, l’insistance a été mise sur l’importance du diagnostic initial qui conditionnera le succès de l’action à venir. En Corse, à côté de la situation de précarité extrême qui mène à la rue dans les grandes villes insulaires, il existe d’autres mécanismes qui conduisent à la grande précarité plutôt observables dans certains villages.

Par Charles Marcellesi, médecin 

À LA RUE

Le sujet qui se retrouve à la rue a d’abord perdu la plupart de ses « attributs » familiaux et sociaux : il devient anonyme, n’a plus de nom ou de prénom pour presque personne, sauf pour les compagnons d’infortune, quelques travailleurs sociaux et les bénévoles pratiquant les maraudes. Donc un certain type de manque l’affecte, la privation d’une place dans le dispositif social, qui l’expose aux dangers et à l’insécurité de la rue, son image devient quasi inconsistante, quasi transparente, et sa valeur d’être humain n’est plus calculée par nombre des passants qu’il croise. Enfin, il est atteint dans le réel de son corps au gré des rythmes vitaux : la faim, le froid, pas toujours d’abri pour dormir, de repas pour se nourrir, d’installations minimales pour son hygiène, manques auxquels s’ajoute la difficulté de l’accès aux soins. Pour supporter une situation aussi extrême et dangereuse, il faut souvent des pansements surtout psychiques, l’anesthésie que procurent certaines addictions, la plus fréquente se faisant avec l’alcool. 

L’aide à ces sujets en grand danger vient de plusieurs foyers institutionnels, qu’ils soient d’origine caritative (Secours catholique), associative (un collectif), médicale (Médecins du monde), médico-social, hospitalière (les services de psychiatrie et d’addictologie comme ceux du CH de Castelluccio, du CH de Bastia, le service de soins de suite et de réadaptation du CFR du Finosello). Le tout coordonné par l’action de l’ARS, avec une invite faite par les organisateurs, Xavier Emmanuelli et François Pernin, au président de Région, qui était présent, ainsi qu’aux différents édiles. La finalité ? Qu’ils affinent et amplifient une réponse au niveau politique à ce problème de l’extrême précarité. Tous les intervenants de ce colloque fondateur d’un Samu social en Corse ont mis en exergue, partant de l’exemple du Samu social de Paris et d’autres expériences dans des secteurs démographiques comparables à la Corse par leur taille ou leur situation d’insularité, l’attitude sublimatoire à l’initium de la démarche, prônant le désir d’humaniser le lien au semblable privé de l’essentiel : il s’agit de restaurer un langage commun, une « inter-signifiance », aurait dit Lacan, le fait d’être soumis à une même loi de solidarité, répondre au seul fait que l’état de celui qui se trouve à la rue constitue en soi une demande. Il s’agit d’instaurer d’abord la rencontre (lors des maraudes de bénévoles) mais aussi un seuil à franchir, là où commencent l’accueil et l’hospitalité, où cette demande pourra être entendue : c’est le rôle des Associations travaillant dans ce champ, les accueils de jour ou de nuit, les permanences d’accès aux soins de santé (PASS). 

À la psychiatrie est demandé de mettre en œuvre les techniques de réhabilitation psycho sociale déjà utilisées pour ses consultants habituels. Il s’agit de répondre aux besoins vitaux du sujet, pour l’intervenant de prêter la consistance de sa propre image pour que le sujet à la rue puisse restaurer la sienne avec ce que cela permet de reprise du contrôle de sa situation, enfin d’avoir surmonté l’épreuve de la rue permettra au sujet de se restituer un nouvel attribut et de réintégrer une place dans le dispositif social. 

AU VILLAGE, EN CORSE

Pour examiner la situation dans le rural en Corse, les consultations du service public de psychiatrie constituent un bon observatoire de l’engrenage qui mène à l’extrême pauvreté : alors que le colloque d’Ajaccio invitait à une sorte d’enrôlement plus décisif de la psychiatrie pour constituer un service de soins pour les personnes se retrouvant en situation de rue. Et cela au-delà du traitement des addictions qui y sont liées, dans certaines régions plus rurales. C’est la structure du marché de l’emploi, quand elle repose sur une volatilité de l’emploi faite de discontinuité et d’intermittence (travail saisonnier, temporaire, stages…), qui appelle sur le sol corse, en proportion plus importante que celle s’y trouve déjà. Une population d’origine continentale déjà fragile, mais qui en quelques années va s’y trouver piégée par la cherté de la vie et des loyers, repoussée dans les villages assez éloignés des centres urbains, sur les hauteurs ou à l’intérieur dans un habitat parfois vétuste, voire délabré. Au bout de quelques années d’une tentative d’insertion sociale qui s’avèrera non viable, s’installe chez ces sujets un type de stress non pas traumatique mais dit « d’adaptation », qui conduit à la consultation en psychiatrie… et au service social. 

D’autres situations existent, et nous citerons celles de ces enfants nés en Corse mais dont les parents venus par immigration sont expulsables et ne peuvent travailler que difficilement… Notre société ne peut-elle vraiment, au moins pour ces enfants-là et à travers leurs parents, leur garantir éducation, santé et protection, ne font-ils pas partie de notre espoir ?

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