

Le projet d’autonomie émaillé de soubresauts semblait s’être engoncé dans la torpeur. Le Conseil d’État sonna son réveil. Il détricota, le ravalant à un ersatz de décentralisation. Son avis était certes par définition consultatif mais il mit le feu aux poudres, enflammant partisans et réfractaires. Un clivage dans les allées du pouvoir présageant les prochains débats parlementaires.
Par Jean Poletti
Le coup passa si près que le chapeau insulaire faillit tomber. La plus haute juridiction administrative effaça d’un trait de plume tout reflet d’originalité. Exit notamment la notion de communauté corse. Primauté au gouvernement et non à la collectivité territoriale au pouvoir d’adapter des dispositions législatives. Bref, le dispositif validé par Gérald Darmanin voilà seize mois volait en éclats. Courroux des nationalistes et évolutionnistes. Satisfaction relative de ceux qui à l’image de Jean-Martin Mondoloni ne cessent de répéter en leitmotiv que mieux vaux adapter que adopter. Une formule signifiant qu’il n’est nul besoin de légiférer pour sortir l’île du droit commun.
François Rebsamen réunit préfets de Corse et élus pour débattre de cet avis. Durant plus de quatre heures d’horloge, les participants se positionnèrent lors d’échanges dont la courtoisie n’excluait pas l’âpreté. Tant s’en faut. La trilogie avait la clarté de l’eau de roche. Accepter, refuser ou amender. Le ministre de la Décentralisation, issu des rangs socialistes, trancha sans faire de détail. Le projet de loi initial n’intègrera aucune des profondes modifications préconisées par le Conseil d’État. Et d’assurer qu’il sera présenté dans sa mouture initiale en conseil des ministres. Aussi, Gilles Simeoni put-il annoncer « Conformément à ce que nous demandions à l’unanimité, à l’exception des élus de droite, le ministre Rebsamen a décidé de proposer que soit transmis le texte initial du projet d’écriture constitutionnel. » Reconnaissait-il le courage d’une telle décision ? Sans doute. Ce n’est pas un hasard s’il indiqua en incidence « Que l’avis du Conseil d’État même consultatif a une autorité et une force juridique incontestables. »
L’ombre de Joxe
Nulle surprise en l’occurrence émanant de l’ancien maire de Dijon qui est un fervent adepte du particularisme insulaire. Il fut, d’aucuns s’en souviennent, le conseiller écouté de Pierre Joxe qui initia un statut éponyme. À l’époque celui qui occupait le fauteuil de la Place Beauvau avait malgré les oppositions mené à bien la tâche que lui confia personnellement François Mitterrand. Et non Rocard comme cela est fréquemment admis. Durant cette période, les clivages traversaient tout l’échiquier politique, à gauche, à droite et même chez les nationalistes. Certains arguaient que cela allait trop loin, d’autres pas assez. Les formules fleurissaient « C’est un toboggan vers l’indépendance. », tandis que le FLNC avertissait « Il n’y aura pas de troisième voie » signifiant ainsi que seule l’indépendance prévalait. Faut-il rappeler en incidence que lors d’un déplacement à Corte, Joxe fut accueilli aux cris de « séditieux » par de nombreux édiles, écharpes tricolores en bandoulière ?
Faut-il aussi dans ce droit fil rappeler l’échec de la consultation locale, improprement nommée référendum, initiée par Nicolas Sarkozy ? Elle avait notamment pour but la suppression des conseils généraux. Le puissant ministre de l’Intérieur d’alors fut mis à l’index par les caciques du pouvoir national. Il ne dut sa survie qu’à sa popularité au zénith dans l’opinion, concrétisée par des sondages où il caracolait en tête.
Ces rappels sommaires sont utiles pour dire que depuis Defferre les évolutions statutaires de l’île ne se firent pas dans la dentelle. Ici comme sur les bords de la Seine s’affrontent deux notions de la République. L’une jacobine, l’autre girondine. Le sempiternel débat se scinde autour de cette dualité. Comme une constante qui défie le temps qui passe et les aspirations régionalistes qui traversent l’Hexagone.
Retailleau et Larcher, union sacrée
François Rebsamen, pour les raisons décrites précédemment, ne retint nulle réserve émise par les neuf membres de l’institution créée, ironie de l’histoire, par Napoléon ! Seul prévalut le document cosigné par Darmanin et Gilles Simeoni, dans le sillage du vote unanime de l’Assemblée de Corse, a l’exception de la représentante des indépendantistes Josépha Giacometti-Piredda. Cette résolution fut validée par François Bayrou qui pour donner plus de contenu à son adhésion fit une brève apparition lors de la récente réunion à huis clos devant finaliser le texte. Elle fut dit-on rude mais sans outrances. Osons le croire. Toutefois Bruno Retailleau, l’homme fort de ce gouvernement, ne perdit pas de temps pour dire et répéter son opposition au projet de révision constitutionnelle. N’hésitant pas à montrer sa profonde différence avec Emmanuel Macon. Précédent ? Nullement. À l’issue des fameux lundis de Matignon, Lionel Jospin, Premier ministre de cohabitation, était lui aussi passé outre au grand dam du président Chirac. Cette fois encore les similitudes sont prégnantes. Il n’est qu’à entendre les cris d’orfraie de Gérard Larcher qui dénonce une sorte de passage en force reléguant les réserves du Conseil d’État aux oubliettes. Ce qui à ses yeux s’apparente à un déni de démocratie. On sait le président du Sénat fervent ennemi de l’autonomie. Aussi conforte-t-il sa position et celle de la majorité de la chambre haute qui rejaillira nécessairement lors des débats parlementaires.
Le silence de Valls
Pour l’anecdote, d’aucuns noteront le silence assourdissant de Manuel Valls. Lui si percutant pour pourfendre la réforme insulaire se tait. Alors qu’il affirmait que la France ne doit pas être une « addition de tribus », le voilà frappé de mutisme. Certes, il n’est pas directement en charge du dossier, mais repêché dans son errance par Macron, sans doute ne veut-il pas déplaire. Préférant l’allégeance discrète aux principes qu’il disait d’airain. De plus, ayant laissé en cours de route les préceptes de son mentor Michel Rocard, il les retrouva bizarrement en signant l’avènement de la Nouvelle-Calédonie en une sorte d’État au sein de l’État français. Un accord historique, clama-t-il. Ainsi ce qui vaut pour « le caillou » relève de l’interdiction, fut-ce pour une autonomie, dans la plus proche des îles lointaines. Mais avec lui, il convient de ne s’étonner de rien. Il avait proclamé que son avenir était en Espagne pour revenir penaud après son revers aux municipales de Barcelone. Il retrouva un portefeuille ministériel par la grâce élyséenne. Cela vaut sans doute quelque entorse avec un idéal réel ou supposé. Et Edgar Faure de dire « ce ne sont pas les girouettes qui tournent, c’est le vent. »
Finalement cela n’est que péripétie accessoire. L’essentiel est ailleurs. Le rejet sans autre forme de procès des restrictions du Conseil d’État passera-t-il par perte et profit ? Sera-t-il un argument supplémentaire dont s’empareront à l’envi députés et sénateurs rangés derrière la bannière du statuquo ? Cela ne fera-t-il pas douter davantage les indécis ? En un mot comme en cent, la juridiction suprême administrative sortie par la porte reviendra-t-elle par la fenêtre ?
Le spectre de Pyrrhus
Voilà sans doute autant d’interrogations qui sans avoir valeur d’évidences ne peuvent qu’être omniprésentes dans la classe politique insulaire et au-delà au sein de la population. Aussi, lucide et pragmatique, Gilles Simeoni salue une victoire d’étape, à condition qu’elle ne soit pas à la Pyrrhus. Il sait pertinemment que le combat qui se profile désormais sera ardu et parsemé d’écueils. Dès lors avec les partisans de l’autonomie, il ira à la rencontre de toutes les parties prenantes. Et comme le soulignait fort opportunément Pierre Joxe en son temps « Dans ce genre de sujets il faut expliquer, expliquer encore, expliquer toujours. C’est la seule démarche qui vaille. » Comme en écho Nanette Maupertuis martèle en solennel avertissement : « La question est maintenant de savoir ce que les parlementaires mettront sous le vocable d’autonomie. » Que n’a telle raison. Le texte en effet risque de crouler sous un déluge d’amendements qui en dénaturerait le sens et la portée. François Rebsamen aura fort à faire dans les hémicycles pour porter « la bonne parole. » Il aura essentiellement comme compagnons de route Laurent Marcangeli et sans doute Marc Ferracci. Mais sauf imprévu, telle une motion de censure à la rentrée sur le budget, pour l’heure au Palais Bourbon les lepénistes sont contre, le bloc central n’est pas à l’unisson. Un regard du côté du Palais Bourbon suffit à relever que les libéraux majoritaires aspirent globalement à l’indivisibilité de la République. Dès lors comme le dirait l’inénarrable Jean-Pierre Raffarin « notre route est droite mais la pente est forte ».
Préjuger de l’avenir équivaut à lire dans le marc de café. Tout peut advenir. Mais décidemment depuis Giscard la question évolutionniste fait débat. Ce dernier affirmait « Il n’y a pas de problème corse, juste des problèmes en Corse. » En contrepoint Mitterrand, auteur de deux statuts, lançait un « Corses, soyez vous-mêmes. »
Rebsamen énergique
Certains dirons que l’histoire est un perpétuel recommencement. Sans doute est-ce exagéré. Mais nul ne peut chasser de la mémoire collective cette analogie entre hier et aujourd’hui de ce qu’en terme générique on nomme la question corse.
Mais chacun est conscient que sans la présence au gouvernement de François Rebsamen, l’épisode écoulé se serait sans doute déroulé de manière différente. Tout autre à sa place aurait sans doute évité de s’affranchir de la position du Conseil d’État.