

À l’occasion du tricentenaire de la naissance de Pascal Paoli, l’Université de Corse s’apprête à renouer avec l’héritage de l’Illuminismo qui inspira l’enfant de Morosaglia. Du 24 au 28 novembre, une délégation cortenaise se rendra à Naples, ville de formation du jeune Paoli. Un voyage à la fois symbolique et pédagogique qui conjuguera mémoire, culture et coopération universitaire.
Par Caroline Ettori
Honorée tout au long de l’année 2025, la figure de Pascal Paoli a donné lieu à une multitude d’événements : expositions, conférences, publications, rencontres scientifiques. Ce cycle commémoratif s’achèvera le 8 décembre prochain, mais avant cela, un dernier temps fort s’inscrit dans la continuité de cette célébration : un voyage d’étude à Naples, la ville où Paoli, adolescent, se forma à la pensée des Lumières.
« Nous avons conçu ce séjour comme un voyage pédagogique et institutionnel. Une manière de réaffirmer le lien entre la Corse et Naples et l’Italie en général comme un continuum culturel rompu par l’histoire. Il est temps de reconstruire cette relation. », explique Dominique Verdoni*, directrice des études de la filière langue et culture corses à l’Université de Corse. « Nous voulions que ce lien se matérialise pour nos étudiants, qu’ils sortent du mythe, qu’il se matérialise pour s’ancrer dans la réalité. »
Naples, école des Lumières pour Paoli
Né à Morosaglia en 1725, Pascal Paoli quitte la Corse à 14 ans pour suivre son père, Hyacinthe Paoli, en exil à Naples. Il découvre alors une capitale en plein épanouissement intellectuel, sous le règne de Charles de Bourbon, souverain éclairé qui a la volonté de moderniser son royaume. Dans cette ville à la fois foisonnante et tourmentée, Paoli reçoit la double influence de la discipline militaire et des idées nouvelles venues de l’Illuminismo italien.
Influencée par la pensée de Pietro Giannone, Antonio Genovesi ou Gaetano Filangieri, Naples devient au xviiiᵉ siècle un laboratoire du progrès, un lieu où s’inventent les réformes économiques, juridiques et sociales. Paoli, pétri des humanités classiques avec une affection particulière pour Plutarque, s’y forge une vision politique originale : celle d’un gouvernement fondé sur la vertu, la raison et le savoir. Contemporain des premières fouilles de Pompéi et d’Herculanum entreprises en 1748, il développera sa pensée autour de cette idée : redécouvrir l’Antiquité pour penser la modernité.
Un voyage d’étude et d’incarnation

Près de trois siècles plus tard, les étudiants de la filière langue et culture corses remonteront le fil de l’histoire, une voyage dans le temps capté par les caméras de la réalisatrice Anne-Marie Vignon qui retracera de son côté les 40 ans de la filière LCC. Aux côtés des élèves de deuxième et troisième année ainsi que des Masters 1 et 2, doctorants, enseignants et professeurs feront le déplacement tout comme une large représentation de la gouvernance dont le président de l’Université Dominique Federici plusieurs vice-présidents, Christophe Paoli, Marie-Michèle Venturini, Francescu Maria Luneschi, Éric Leoni avec Fabien Landron, le doyen de la faculté de Lettres Julien Angelini, Sébastien Quenot, Déborah Certo ou encore Alain di Meglio.
La délégation visitera les hauts lieux du pouvoir et de la culture napolitaine tels que le Palazzo Reale, le théâtre San Carlo, le musée de Capodimonte, le Castel Sant’Elmo mais aussi les Quartieri Spagnoli ou Spaccanapoli où vécurent nombre d’exilés corses. « Chaque site a un sens dans l’expérience napolitaine du jeune Paoli », souligne Dominique Verdoni. Les étudiants auront préparé leur séjour à partir d’un fonds documentaire et d’un travail de recherche préalable ; sur place, ils confronteront leurs connaissances au terrain. L’expérience sera également humaine en renforçant l’esprit de groupe : entre travail collectif, immersion linguistique et découverte d’un autre espace méditerranéen. Dans cette démarche, l’esprit des Lumières napolitaines trouvera un écho contemporain. L’université hors les murs devient un lieu d’expérimentation, d’ouverture et d’émancipation, fidèle à la modernité de Paoli avec la langue corse comme socle commun. Car un autre objectif pédagogique de ce voyage est de mettre l’accent sur la transdisciplinarité de la filière. À terme, ses étudiants pourront se spécialiser en histoire, anthropologie, musicologie, littérature ou encore linguistique.
De l’histoire à la coopération universitaire
Il est clair que ce déplacement ne se cantonnera pas à un voyage mémoriel. Ainsi la délégation rencontrera les représentants des deux grandes universités napolitaines Federico II et L’Orientale afin d’explorer les axes de coopération futurs : développement du programme Erasmus+, échanges d’enseignants et d’étudiants, réflexion sur une éventuelle co-diplomation ou sur la création de dispositifs communs autour de l’héritage de Pascal Paoli.
« Nous souhaitons encourager nos étudiants à renforcer leur compétence en italien et à découvrir la richesse des universités napolitaines », précise Dominique Verdoni. Les études de langues romanes sont aujourd’hui fragilisées ; ce type de partenariat leur redonne du sens et ouvre de nouveaux horizons professionnels. »
L’Université de Corse entend aussi profiter de ce rapprochement pour consolider sa place dans le réseau RETI, qui regroupe entre autres les universités insulaires de Sardaigne et de Sicile. Si les thématiques partagées sont nombreuses : environnement, patrimoine, linguistique, développement durable ou tourisme responsable, il reste à surmonter les difficultés de transport et à rétablir des liens directs entre îles, pour que cette coopération soit plus que virtuelle.
Des passerelles pour l’avenir
De la Corse à Naples, les siècles passés ne changent pas la portée de la traversée : franchir la mer pour apprendre, s’enrichir, revenir différent. Comme son illustre prédécesseur, la jeunesse corse cherche à s’ouvrir au monde sans renier ses racines.
En renouant avec la cité des Lumières italiennes, l’Université de Corse ne se tourne pas seulement vers le passé : elle trace une voie d’avenir, méditerranéenne et européenne. « Retisser un lien linguistique, culturel et institutionnel solide avec cette terre, c’est rappeler à nos étudiants qu’ils appartiennent à un espace de savoir et d’innovation qui dépasse les frontières. Nous avons besoin que nos étudiants soient mobiles », conclut Dominique Verdoni.
Hier, Naples a formé l’esprit de Paoli. Aujourd’hui, elle inspire à nouveau une génération d’étudiants corses en quête de sens et d’ouverture entre deux rives.
*Dominique Verdoni est également présidente du conseil académique de l’Université de Corse et professeure des universités en anthropologie

