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L’effervescence créative de Ricordu

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Les artistes insulaires résistent à la crise sanitaire. Ils sont même plein d’initiatives et semblent mus par une mystérieuse inspiration. C’est ce que donne à penser la succession d’albums, avec en prime de « belles surprises », produits par les éditions Ricordu.

Par Véronique Emmanuelli

Privés de concerts et de lien avec le public mais tournés vers l’avenir. Depuis près d’un an, la crise sanitaire du Covid-19, confinements et couvre-feux à l’appui, a paralysé la vie culturelle. Elle a plongé bon nombre d’artistes dans une situation complexe. 

Il n’empêche, l’envie de créer et la passion demeurent envers et contre tout. C’est en tous cas, la tendance qui s’affirme au sein du studio d’enregistrement, d’édition et de production Ricordu, installé à Bastelicaccia, à la périphérie d’Ajaccio. 

« Chanteurs musiciens ne sont pas restés inactifs durant toute la période écoulée. Loin de là », remarque Michel Leonardi à la tête de la structure. On maintient le cap au milieu du pire. On devient même plus pertinents et plus sensible à certaines propositions un temps oubliées, comme si on était entré en résilience. De quoi bâtir de nouveaux albums. « Certains artistes ont ressorti des textes qu’ils avaient rangés au fond d’un tiroir. Ils se sont mis à les retravailler. D’autres se sont rapprochés d’auteurs-compositeurs », observe le responsable.

Retrouvailles

Il y a une réelle effervescence et l’équipe de Ricordu est au rendez-vous. D’autant que producteurs et artistes ont échangé beaucoup d’arguments par téléphone et par mail. Tous acquièrent la conviction qu’aller de l’avant a un sens. « Nous nous sommes dits que nous ne pouvions pas rester sans rien faire, que nous avions des soucis communs et que nous devions essayer de les surpasser ensemble. Alors, nous avons ouvert nos portes à tous ceux qui ne pouvaient pas monter sur une scène », se souvient-il. La stratégie est fructueuse. Elle donne une profusion d’albums tout en faisant la part belle à des retrouvailles qui ne manquent pas de rythme. Avec I Voci di a Gravona, par exemple. « Leur dernière parution remontait à plus de 20 ans en arrière. L’enregistrement de leur nouvel album désormais est terminé. Sa sortie est programmée entre ce printemps et le début de l’été », souligne Michel Leonardi. 

Courant 2021, le très attendu album de Natali Valli sera également disponible, soit une rétrospective en chanson des quarante dernières années. D’ores et déjà, le saxophoniste Paul Mancini, avec « Mystères de Judée », Dominique Ottavi, avec « Noi », et I Surghjenti avec « A Noscia » ont ouvert le bal dès la fin 2020. « S’agissant de ce dernier, les cordes ont été enregistrées en Angleterre par un ingénieur du son corse. Tony Fallone, père et fils, se sont chargés des arrangements. Nous avons ensuite mixé les voix enregistrées en corse avec les guitares et nous sommes arrivés à cette œuvre sublime qui ouvre des perspectives inédites »,développe Michel Leonardi. 

Contraversu a aussi donné le ton dès la fin de l’année dernière, en ouvrant de vastes possibles, en jouant à fond le métissage version corse, irlandaise, avec un enrobage rock ou pop. 

Au-delà, dans le catalogue été 2021 de Ricordu figure aussi la composition de l’Alba in Scena, un groupe de l’extrême sud qui « jusque-là faisait beaucoup de live et en moyenne entre 210 et 220 dates par an ». À l’affiche encore, le double album de création des Voix de l’Émotion. De l’avis du responsable de Ricordu, celui-ci figurera sans doute « la belle surprise de l’année. Il y a quelque chose d’essentiel qui se passe. On le ressent », insiste-t-il. 

High-Tech

Sans doute parce que des fragments mélodiques ont le rayonnement à la fois de la cetera, de la guitare et d’un orchestre philharmonique tout entier, parce que les voix sont somptueuses et que la langue corse prend des couleurs inédites, palpite et frémit. « Jusque-là, cette formation d’exception qui réunit près de 60 personnes, parmi lesquelles les plus belles voix insulaires, avait pour habitude d’enregistrer des titres dont ne subsistait qu’une version vinyle. Cette fois-ci, nous sommes dans un tout autre registre qui possède une épaisseur très originale », détaille-t-il. Et, les chansons qui parlent d’amour, de faits de société, d’environnement à préserver, « mais jamais d’engagement politique », devraient faire merveille.

Dans le même temps, on se sent prêts à aborder 2022. « Plusieurs projets sont d’ores et déjà prévus à cette échéance, avec Bernardu Pazzone notamment. Cette fois, le travail portera à la fois sur des créations et des titres traditionnels qui n’avaient jamais fait l’objet d’une numérisation auparavant. Ce type d’approche nous intéresse beaucoup. Car, il n’y a pas que la nouveauté, le défrichage ; notre démarche consiste également à œuvrer à la préservation de notre patrimoine musical », rappelle Michel Leonardi. 

Sur la feuille de route, on a inscrit aussi la réalisation d’un ouvrage jeunesse assorti de comptines. Différents artistes insulaires, entre autres, Antoine Marielli et sa fille Cléo, Christophe Mondoloni, Mathieu Casanova apportent leur contribution. Une fois terminé, le livre audio sera offert à l’ensemble des écoles de l’île. 

La ligne éditoriale est dense, exigeante et parfois complexe à mettre en œuvre. Sauf que de salle en salle, entre les murs du studio, la partition quelle qu’elle soit est toujours parfaitement huilée, grâce à un matériel et à des technologies de pointe. Ricordu a voulu repousser les frontières et faire bouger les lignes. Une autre « mécanique », dorénavant, est en place. « Qu’il s’agisse des micros et autres équipements, nous nous sommes dotés de ce qui se fait de mieux sur le plan international. Exactement comme les plus grands studios. Ce choix a été guidé par notre volonté de permettre aux artistes insulaires d’enregistrer dans les meilleures conditions possibles, avec en plus une qualité sonore d’exception », affirme Michel Leonardi. 

L’approche intègre le principe d’équité. Tous au diapason. « Nous n’avons rien à envier aux autres, sur le continent et au-delà. Récemment Christophe Maé est d’ailleurs venu enregistrer ici avec I Surghjenti », se félicite-t-il. L’évolution a aussi poussé à créer durant la crise sanitaire. Car le champ des possibles est vaste en termes de collaborations, d’interconnexions. « Par exemple, nous pouvons nous permettre de faire une voix ici, d’envoyer le support à un arrangeur qui va intégrer des violons réaliser en Angleterre puis une batterie faite aux États-Unis. Nous récupérerons ensuite l’ensemble pour effectuer le mixage. Il s’agit d’avancées énormes d’un point de vue technique. »

Passion

Ainsi circule l’esprit Ricordu qui consiste à changer de tempo pour être en phase avec le cours des choses. Le cercle s’élargit sans cesse à partir de l’état initial. « Ricordu est né en 1974 à l’initiative d’Antoine Leonardi, mon père, qui a par ailleurs conservé un rôle actif au sein de la structure. Il s’agissait à l’époque d’un studio d’enregistrement. Puis se sont ajoutées la production et l’édition. Dans les années 1990, j’ai tenu à mettre en place un réseau de distribution », reprend le chef d’entreprise. À l’ère du streaming et des téléchargements, l’accent est placé sur le volet audiovisuel. Désormais, c’est le spectacle vivant qui est devenu un axe de développement de plus. C’est au tour des enfants de Michel, Laura 25 ans et Jean-Claude 22 ans, de prendre le sujet à bras le corps. Leur tâche consiste, entre autres, « à trouver pour les artistes, des dates de spectacle, en fonction des festivals insulaires, à essayer de faire passer les groupes en autoproduction lorsqu’il n’y a ni festival ni salles de spectacle. 

L’idée est aussi de prospecter sur le continent du côté des salles de world music. Lorsque nous produisons un artiste, il est important qu’il puisse s’exprimer sur une scène, défendre son produit et le faire connaître au grand public », explique-t-on. Cette année, le Covid a grippé la machine. Plusieurs concerts étaient prévus en polyphonie, en scénique. Toutes les dates ont été reportées à 2021, année de toutes les incertitudes aussi. Cela n’empêchera pas de poursuivre le travail plus tard. 

Continuité

Chez les Leonardi, chaque génération fait sa part du chemin ou plutôt développe son propre secteur d’activité, selon une logique de complémentarité. « C’est notre recette. C’est aussi ce qui fait que nous nous supportons », plaisante Michel Leonardi. Tous, en revanche, partagent la même passion du travail bien fait et de la culture insulaire. 

Aujourd’hui, Ricordu compte parmi les maisons de production les plus anciennes de France. 

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