Où est passée l’unité nationale ?
À la une« L’heure est grave, la France est en péril… » C’est en ces termes qu’une vingtaine de généraux pour la plupart en retraite ont allumé la mèche de la polémique. En publiant une tribune dans Valeurs Actuelles, soixante ans après le putsch d’Alger, pour appeler le chef de l’État à défendre le patriotisme, ils ont scandalisé la gauche, enthousiasmé l’extrême droite et donné une tournure particulière à la campagne présidentielle qui démarre.
Par Vincent de Bernardi
Le moment est choisi, le support de la publication et les termes aussi. Trois ingrédients qui assurent aux auteurs un retentissement maximum. Le choix du moment n’est pas innocent. Le pays est épuisé par la crise du Covid, la menace djihadiste demeure forte, la loi sur les séparatismes a agité les esprits, et la sécurité s’impose jour après jour comme un des thèmes majeurs de la campagne. Et symbole sur le gâteau, cette tribune intervient soixante ans après le putsch d’Alger.
En publiant leur billet dans Valeurs Actuelles, les auteurs parlent à « leur cible » certes mais agitent aussi le chiffon rouge. L’hebdomadaire a pour spécialité la provocation, certains diront l’outrance. Dernière en date, l’appel à l’insurrection lancé par Philippe de Villiers dans ses colonnes. « Délitement », « hordes de banlieues », « honneur et patrie », le lexique est particulièrement soigné. Ils appellent au sursaut : « il n’est plus temps de tergiverser, sinon demain la guerre civile mettra un terme à ce chaos croissant et les morts dont vous porterez la responsabilité se compteront par milliers ».
« La bataille de la France »
L’injonction au chef de l’État est sans ambiguïté, sévère et brutale. Ce texte a tous les attributs d’un manifeste. Il conforte la droite nationaliste, à tel point que Marine Le Pen s’est immédiatement fendue d’une réponse invitant les signataires à rejoindre son action pour prendre part à la bataille qui s’ouvre qui est avant tout « la bataille de la France » et d’ajouter « comme citoyenne et comme femme politique, je souscris à vos analyses et partage votre affliction ». Il révulse la gauche qui en a profité pour dénoncer l’absence de réaction du gouvernement. Jean-Luc Mélenchon a fustigé la « stupéfiante déclaration de militaires s’arrogeant le droit d’appeler leur collègue d’active à une intervention contre les islamo-gauchistes ».
Si le climat est propice aux emballements, cette prise de position n’en est pas moins symptomatique d’une tendance éruptive au sein de la société française. Lorsque l’on décortique les études, les Français expriment certaines positions dont cette tribune fait l’écho.
Préoccupations sécuritaires
Dans la dernière vague du baromètre de la confiance politique d’Opinion Way pour le Cevipof, (février 2021), une majorité d’entre eux estime que la France est davantage un ensemble de communautés qui cohabitent les unes avec les autres qu’une nation unie malgré ses différences. Ils sont 6 sur 10 à considérer que l’islam représente une menace pour la République.
S’ils sont très majoritairement attachés à un système politique démocratique, ils sont 34% à penser qu’avoir à la tête du pays un homme (ou une femme) fort, qui n’a pas à se préoccuper du parlement ni des élections, serait une bonne chose.
Par ailleurs, les préoccupations sécuritaires sont en passe de prendre le pas sur les préoccupations sanitaires. Elles ont bondi de 26 points dans le baromètre de l’Ifop pour Le Journal du Dimanche depuis un an après un été que certains ont qualifié « d’Orange mécanique ».
Si les sympathisants de la droite et de l’extrême droite en feront un élément déterminant de leur vote lors du prochain scrutin présidentiel, les sympathisants macronistes mais aussi ceux de la gauche ne sont pas en reste. Ils sont près de 8 sur 10 à dire que ce sujet pèsera lourd au moment de mettre un bulletin dans l’urne.
Tentations populistes
Après une crise sans précédent, les ferments de la division sont semés. On a peine à se souvenir des appels à une forme d’unité nationale pour surmonter la plus grâce crise sanitaire du siècle. Désormais, la bataille est lancée et tous les coups sont « presque permis » pour l’emporter, en exploitant les tourments d’un électorat déboussolé, tenté par les coups de menton autoritaires ou pire les solutions populistes drapées dans un patriotisme, pour ne pas dire nationalisme bien pratique et surtout très dangereux.
Exergues si besoin
« L’injonction au chef de l’État est sans ambiguïté, sévère et brutale. Ce texte a tous les attributs d’un manifeste. »
« Selon un sondage d’Opinion Way, 6 personnes sur 10 considèrent que l’islam représente une menace pour la République. »