Janine Bonaggiunta: Pionnière dans la lutte contre les violences conjugales
À la uneAvocate pénaliste, spécialisée dans la défense des victimes de violences conjugales, de harcèlement ou d’agressions sexuelles, Janine Bonaggiunta s’est distinguée dans de nombreux dossiers emblématiques devant la Cour d’Assises (affaires Valérie Bacot, Stéphanie Burdin, Alexandra Lange, Jacqueline Sauvage, etc.). Des affaires qu’elle a participé à médiatiser pour mettre en lumière la souffrance des victimes et permettre enfin de faire entendre leurs voix.
Par Karine Casalta
Rien pourtant au départ ne laissait présager qu’elle aurait un jour à s’emparer d’histoires si douloureuses. Avocate spécialisée en droit des affaires, les enjeux pour les clients qu’elle défendait étaient alors d’un tout autre ordre. Mais sa sensibilité, son histoire personnelle et de belles rencontres vont faire prendre un virage à cette carrière toute tracée. Sa rencontre avec une coach, tout d’abord, à un moment de sa vie où, en quête de sens et d’humanité, elle ne se sentait plus en phase avec son métier, va contribuer à faire bifurquer sa carrière. Sur son conseil, Janine intègre l’Académie du coaching où durant deux années elle travaille sur son développement personnel, tout en menant de front son activité au sein de son cabinet. Cette formation va participer à lui révéler ses aspirations profondes, et la conforter dans son envie de changer de voie.
Défendre et protéger les plus fragiles
Sensible depuis toujours à l’injustice, à la maltraitance et aux violences faites aux femmes et aux enfants, elle décide bientôt de mettre son expertise juridique au service de cette cause. « Comment tolérer qu’un enfant soit battu, soit maltraité, ou qu’une femme soit entraînée dans des violences, entraînant aussi ses enfants, ça me touchait énormément. Tout est parti de là. » Une décision influencée aussi par ses retrouvailles avec sa consœur Nathalie Tomasini, qui traverse alors elle aussi une période de remise en question et deviendra bientôt son associée. En 2011, persuadées de répondre à un vrai besoin, elles fondent toutes deux, contre l’avis de tous, un nouveau cabinet pionnier sur les problématiques de défense des victimes de violences conjugales et intrafamiliales. Beaucoup autour d’elles voient alors ce projet comme hérésie, convaincus qu’il n’y a pas suffisamment de demande en la matière. « On a fait l’effort de se former à ces problématiques, sans à priori, avec l’approche de tenter de comprendre sans juger. » Très vite, elles se font connaître en créant un site Internet permettant d’informer les victimes sur leurs droits et les encourager à se faire aider. Et bientôt les affaires vont affluer, avec des victimes issues de tous milieux. Des femmes battues, humiliées, avilies par leur bourreau, qui toujours dans un même schéma les isole et les coupe de toutes relations sociales, car la violence qu’elles endurent ne se résume pas aux coups reçus et aux brimades, mais se retrouve aussi dans l’isolement où les confine leur conjoint, leur retirant de fait toute possibilité de s’échapper. La plupart du temps, ces femmes ne puisent alors la force de se révolter que dans un extrême instinct de survie ou de protection de leurs enfants.
Une implication de chaque instant
Ces histoires, Janine s’en empare toujours à bras le corps sans en sortir toujours indemne. « On vit sept jours sur sept avec ça, ça ne vous quitte jamais. Quand une femme vous appelle parce qu’elle va très mal, vous répondez, quel que soit le moment, parce qu’on se demande toujours ce qui peut arriver. Ce n’est pas facile, mais c’est ma vie, je me consacre à ça ! » Un dévouement sans doute aussi induit par des souffrances qui font inconsciemment écho à son histoire familiale et ses fêlures personnelles. Originaire de Corse où elle a vécu une petite enfance heureuse, elle compte en effet parmi ses aïeules des femmes qui ont vécu silencieuses et soumises dans l’ombre d’un mari autoritaire et pas toujours « gentil ». Prenant le contre-pied de cette lignée, Janine a ressenti très tôt la nécessité d’être indépendante, et de gagner sa liberté par les études et un métier. Attirée par le barreau, elle se lance ainsi dans des études de droit à Assas, et prête serment en 1985 sans présumer encore de la dimension aliénante de son métier. Devenue avocate, elle a dû là encore apprendre à faire sa place et s’imposer, à l’encontre des principes qui lui avaient été inculqués de se taire et ne pas se faire remarquer.
Sur le plan personnel aussi elle a appris à s’affirmer : « J’ai su et pu dire non à des relations, y mettre fin, mais tout le monde n’a pas cette force et donc supporte… Moi, j’avais aussi cette autonomie financière qui me permettait de partir, et le courage, car il faut être courageux pour être libre et oser tout recommencer. »
Des victimes poussées au crime
Des ressources que n’ont pas la plupart du temps les femmes qu’elle défend, qui de fait ne parviennent à s’extirper de situations insupportables qu’en tuant leur bourreau.
Plusieurs de ces victimes l’ont particulièrement touchée, à l’instar d’Alexandra Lange, de Jacqueline Sauvage ou encore Valérie Bacot pour ne citer qu’elles. « Des femmes admirables avec leurs enfants, des femmes résistantes avec leur bourreau, que la société n’a pas su protéger et qui n’avaient rien à faire dans le box des accusés. Autant de combats gagnés, qu’il était important par ailleurs de médiatiser, pour mettre en lumière ces vies et ces souffrances et dénoncer les lacunes de la justice et les dysfonctionnements de la société, qui laissent parfois faire les bourreaux en toute impunité. Pour exemple, le cas de Valérie Bacot, abusée par son beau-père dès l’âge de 12 ans et qui durant vingt-quatre ans par la suite a été battue, violée et prostituée par ce même homme qui l’a épousée et lui a fait quatre enfants ! »
Faire évoluer la loi
Et de mettre l’accent sur ce qui doit changer « Les textes ne sont pas suffisamment appliqués, les peines ne sont pas suffisamment sévères à mon sens. Dans le cadre de la légitime défense par exemple, les lois ont été faites par des hommes pour des hommes. À aucun moment, on ne les a imaginées pour protéger les femmes au sein de leur foyer, protecteur par nature, c’était à contre-courant de ce que l’on pouvait envisager ! Donc les lois ne sont pas adaptées, bien que les choses soient en train d’évoluer. Il est vrai que la parole se libère mais il faut veiller à protéger celles qui parlent, pour l’après ! Et mieux prendre en considération la situation des enfants, souvent utilisés et manipulés pour faire pression. Les juges ne l’entendent pas toujours, il y a encore beaucoup de progrès à faire. »
Ne s’autorisant jamais à rien lâcher Janine a fait de cette lutte contre les violences conjugales une cause à défendre quoi qu’il en coûte. Et lorsqu’elle a besoin de souffler, c’est en Corse que l’avocate vient régulièrement se ressourcer. Des échappées salutaires pour mieux repartir au combat.