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Sylvie Quesemand Zucca – Une psychiatre face à la rue

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Portrait

Par Karine Casalta

Conséquence des crises économiques et des crises migratoires ramenant en Europe des populations fuyants la pauvreté, les conflits ou les persécutions, la précarité et l’exclusion gagnent chaque jour du terrain dans notre société, jetant les plus fragiles dans une grande détresse physique et psychique. C’est animé par la volonté de soulager les malades psychiques en situation d’exclusion que le Dr Sylvie Quesemand-Zucca, médecin psychiatre & psychanalyste, a choisi de s’engager, pour leur apporter l’aide thérapeutique à laquelle ils ont difficilement accès.

Membre de l’équipe mobile  » psychiatrie précarité « de l’hôpital Esquirol dans le Val- de-Marne, Sylvie QUESEMAND -ZUCCA est ainsi intervenue durant une dizaine d’année avec le SAMU social de Paris auprès des personnes sans-abri, dans la rue ou les centres d’hébergement.  C’est à la demande du Dr Xavier Emmanuelli, fondateur du SAMU social, qu’elle rejoint à la fin des années 1990 cette cellule mobile de maraudes psychiatriques qui venait tout juste d’être mise en place pour pallier les vides entre la rue et l’hôpital psychiatrique.

Mieux prendre en compte la détresse psychique

L’objectif était d’aller à la rencontre des gens de la rue en grande détresse psychique, pour répondre à une souffrance jusque-là pas ou peu prise en compte. « Une population largement diversifiée comptant aussi bien des femmes, des jeunes, des étrangers sans-papiers, ou des personnes âgées…. Avec parmi eux des psychotiques, suivis tant que possible sur place, mais aussi de vrais malades mentaux qu’il fallait, pour ceux qui l’acceptait, tenter de sortir de la rue et les orienter pour se faire soigner. Encore fallait-il que derrière il y ait des propositions qui tiennent la route, ce qui n’était pas évident et ne l’est toujours pas aujourd’hui. Il s’agissait aussi parfois d’imaginer des solutions pour les aider à vivre avec leur maladie psychiatrique à la rue. Il y avait une grande complexité à savoir qui était porteur de symptômes pathologiques relevant de la psychiatrie pure, ou qui, à force de désocialisation, était devenu comme fou sans l’être pour autant. » Saisie par cette confusion, elle en témoignera dans un livre « je te salis ma rue – Clinique de la désocialisation (Stock, 2007)où partageant ses questionnements elle s’interroge sur ce phénomène grandissant de l’exclusion.

Médecin avant tout

« Je crois que si je n’avais pas été si proche de la « vraie » médecine, je n’aurai sans doute pas eu l’acuité nécessaire pour définir le type de prise en charge à mettre en place, cette aptitude à déterminer ce qui relève de l’ordre du corps ou de l’esprit »

Car c’est en tant que médecin généraliste, puis médecin du travail que Sylvie Zucca a débuté de sa carrière. « Deux formations qui ont compté dans mon parcours, puisque j’exerçais alors dans les années 1970 à l’époque des premiers grands licenciements. Et j’ai pu me rendre compte sur le terrain combien corps et psyché avaient partie liée ! » Cela la conduira à s’orienter par la suite vers la psychiatrie, où les questions de la médecine du corps et de l’esprit resteront toujours très liées dans l’exercice de sa pratique. Elle s’occupera ainsi de grands anorexiques avant de se retrouver à travailler dans le cadre de la grande précarité avec le Dr Xavier Emmanuelli ou aujourd’hui dans le cadre d’une consultation hebdomadaire au sein de l’APHP pour des patients qui n’ont pas de droits sociaux ouverts.

Lutter contre l’anomie

 « Je travaille depuis quelques années en parallèle de mes consultations en cabinet dans une permanence d’accès aux soins de santé où je reçois des personnes migrantes et nouvellement arrivées sur le sol français. Là encore je suis confrontée à une problématique où le corps est très présent, ne serait-ce que dans les grands syndromes post-traumatiques, car beaucoup ont vécu dans leur périple des choses horribles. C’est à la fois plus satisfaisant professionnellement puisqu’il y a plus de lien dans la durée avec un vrai suivi qui est mis en place, mais aussi tout autant frustrant, car je suis souvent prise au même piège de l’impasse et de l’impuissance car ceux qui sont là, souvent, sont condamné à la clandestinité. Notamment en raison du règlement de Dublin qui les oblige, lorsque l’asile leur est refusé dans un pays, à attendre 18 mois avant de pouvoir déposer une nouvelle demande dans un autre pays. C’est pour moi une forme de fabrique de la folie. Car il ne faut pas laisser trop longtemps les gens dans une anomie sociale où plus rien ne compte. Quel que soit la personne, plus elle va être désocialisée longtemps plus il sera difficile de la faire revenir parmi nous.  Il y aurait un réel besoin d’harmonisation européenne sur ce sujet. Et bien sûr, tout faire préventivement pour que l’idée de dignité soit maintenue, car dès lors qu’il n’y a plus de dignité ni de possibilité de croire dans des bribes de solution, d’espoir, alors apparait un risque d’effondrement et de violence. Il faudrait imaginer une psychiatrie plus en lien avec le social, pour réinventer de l’enchantement. »

« C’est une erreur de penser qu’il ne faut qu’un toit et de la nourriture »

Se sentir utile 

Recueillir leur parole et mesurer l’ampleur de leurs souffrances la touche toujours autant si ce n’est plus qu’à ses débuts : « Déracinés, sans nouvelles de leur famille, livrés à l’errance, certains s’interrogent sur le sens même de leur vie. Et en même temps me disent merci parce qu’ils ont quelqu’un à qui parler ! Je suis extrêmement touché par ces hommes. Parce qu’on est au-delà de la psychiatrie.  C’est véritablement un choc profond d’une rencontre d’humain à humain.  J’ai l’impression de servir à quelque chose -tout en ayant l’impression de ne servir à rien- juste parce qu’il y a un être humain qui parle à un autre et peut lui dire ce qu’il ressent, et là c’est très fort ! » Une satisfaction professionnelle qui motive toujours plus un engagement qui la porte encore aujourd’hui « Que ce soit le Samu social ou la consultation, ce sont des lieux où l’on soigne bien sûr, mais où l’ont fait également de très belles rencontres.  Des lieux qui permettent de penser aussi, et de regarder le monde tel qu’il bouge. J’ai toujours pensé que c’est à partir des marges qu’on voit le mouvement du monde en marche, et les changements sociétaux profonds. »

Sur tous les fronts, elle a dit -elle, toujours un combat qui traîne.  Elle travaille notamment actuellement autour de la jeunesse et de problématiques qui l’inquiètent : les jeunes décrocheurs en foyer ASE, en cours de désocialisation, les nouveaux dangers d’une nouvelle forme de violence en lien au flux d’images numériques, ou encore la question des enfants trans, sur laquelle elle travaille avec l’observatoire de « la petite sirène », jugeant nécessaire d’allumer des contre feux à l’engouement croissant pour ce phénomène. Des questions de sociétés qui interfèrent avec la psychopathologie. Mais dit-elle, il faut rester optimiste, « je crois en les capacités d’inventions humaines qui font que les choses pourront s’améliorer. Et surtout, Il faut réapprendre les joies du partage ! »

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