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AU RISQUE DES SCARIFICATIONS

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L’ÉVEIL AMOUREUX

Les scarifications que pratiquent parfois sur leur corps les adolescents surviennent au cours de cet événement qui voit les transformations corporelles et les changements d’image de soi, apanage de la puberté, coïncider avec les exigences sociales qui préparent à la vie adulte tout en sollicitant le désir de l’adolescent d’y répondre, aux fins également qu’il soit normé pour l’acte sexuel. Cela ne se fait pas toujours sans douleur.

Par Charles Marcellesi, médecin 

DE L’ÉCUEIL DU « GENRE » …

L’adolescent doit se reconnaître dans une nouvelle image de lui-même, puisque son corps qui est le support de cette image devient celui d’un adulte avec modification de la taille, de la silhouette, l’apparition des caractères sexuels secondaires. Depuis longtemps avec l’accès au langage lui ont été assignés une place et un rôle de garçon ou de fille, maintenant d’homme ou de femme, et le moment est venu d’en actualiser la réalisation de toutes les conséquences puisque certains événements, comme la survenue des règles ou les pollutions nocturnes, l’ont déjà suffisamment averti des transformations en cours. Toutefois le langage ne remplit pas toujours ce rôle attributif d’une sexuation, puisque notre époque, comme nous le rappelait une récente circulaire du ministre de l’Éducation nationale relative à l’accueil des enfants transgenres, exploite d’autres potentialités du langage, celles de la performativité comme l’a théorisée Judith Butler; il suffit alors d’énoncer une chose pour que cela fasse acte et si de tels sujets ont l’intuition qu’ils sont femmes alors qu’ils ont un corps d’homme, ils énoncent un genre différent de leur sexe anatomique et biologique et cela circonscrit la pensée à sa seule expression consciente d’un très cartésien « je pense donc je suis » ou plutôt : « je le pense ainsi donc je le suis ». Mais est-ce vraiment une pensée ce qui est une intuition ainsi coupée de toute afférence inconsciente, soit de ce que les psychanalystes appellent le refoulé originaire qui fait supposer un opérateur symbolique* qui conditionne les effets de signification dans le langage et, à partir de ce que Freud appelait la bisexualité inconsciente, aboutit aux acceptions des mots « homme » et « femme » admises et communicables par tous ? Dans le cas du genre « mental » distinct de la réalité anatomique du corps du sujet, la sexuation devient avec le choix du genre une signification personnelle. 

À LA SCARIFICATION

Dans les autres cas, où ne joue pas cette performativité du langage, l’adolescent doit donc gérer une modification de son image ainsi que les transformations et la nouvelle physiologie de son corps. C’est ici que le mythe, celui de Narcisse, peut être d’un grand secours pour repérer ce qui vient révéler le corps en tant que sexué sous l’image qui le recouvre et éclairer le phénomène clinique des scarifications. Dans le mythe, Narcisse est né du viol d’une nymphe par un dieu-fleuve qui l’a attirée dans la turbidité de ses remous. À l’âge de 16 ans, il surprend son image dans le miroir d’une nappe d’eau que rien ne trouble… il pense que c’est l’image d’un autre, et lui qui a refusé jusque-là toutes sortes d’avances sexuelles en étant très beau, tombe amoureux de cette image qu’il n’a pas encore reconnue comme la sienne. Il est alors prêt à un acte sexuel avec cet autre qu’il croit figuré par ce qui n’est en fait que sa propre image. Puis il comprend sa méprise, et le mythe décrit sa réaction : il se donne des coups de poing, s’inflige des éprouvés corporels de douleur. Le mythe appelle ainsi deux remarques générales : la première concerne la sexualité vécue par les petits enfants comme dangereuse à partir de leurs perceptions de la sexualité des parents, non comprise et donnant lieu à des fantasmes tels celui de « la scène primitive » (la mère interminablement violentée par le père) ou des symptômes comme les terreurs nocturnes. Cela se retrouve dans l’histoire des origines du personnage mythologique de Narcisse avec le viol qui préside à sa naissance. La deuxième remarque concerne la révélation d’une faille narcissisme lorsque s’installe la dichotomie entre le corps et son image, et que sous l’image le corps recèle l’objet qui cause le désir sexuel : une récente suite de films très prisée des adolescents, « Twilight », montrait de gentils vampires dont l’image inconsistante avait besoin d’être revitalisée par des apports de sang, tandis que ceux qui étaient loups-garous se détectaient à leur odeur forte et une bestialité très érotisée à travers le personnage joué par Taylor Lautner. Les scarifications apparaissent donc comme un moment dramatisé où l’adolescent(e) vit au niveau de son corps un débordement par les pulsions de la sexualité naissante que l’image du corps ne parvient plus à contenir et à maîtriser, en même temps que le langage ayant distribué les rôles d’homme et de femme, il doit se préparer à entrer dans l’échange amoureux et l’acte sexuel…

L’AGALMA

Car il vient de constater que cette image, la sienne comme celle des autres, est illuminée par la brillance de cet objet nouveau de la sexualité, cet agalma qui dans l’antiquité grecque désignait l’éclat d’un trésor que l’on découvre. Mais cet objet, par sa nature sexuelle, peut terrifier autant qu’il fascine, réveillant les fantasmes originaires, et provoquant le retournement de l’agressivité contre le corps propre.

*Appelé par les psychanalystes « Phallus symbolique », qui permet aux termes « homme » et « femme » d’avoir les signifiés correspondants.

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