L’annu corsu
À la uneL’un s’en va, l’autre arrive. Immuable cycle des ans. Chacun espère que le nouveau calendrier qui effeuille ses premiers jours sera l’apanage de bénéfiques vœux. Individuels et collectifs. Fol espoir pour certains. Mais aussi souhaits qui rassurent, tentative d’exorciser l’avenir. Et en pointillés, l’espérance diffuse des lendemains plus harmonieux que borde d’inconnues le chemin de la Corse.
Par Jean Poletti
Ce mélange de postures et d’incantations face aux douze prochains mois renvoie à l’humilité des êtres confrontés au futur. Inconsciemment, la période trie entre l’essentiel et l’accessoire. Le réel et l’illusoire. Et montre en incidence la fragilité des hommes et femmes confrontés au destin. Faut-il pour autant demeurer passifs et refuser, sinon de changer la vie, à tout le moins la rendre plus harmonieuse ? Le penser équivaudrait à opter pour un déterminisme, décrit par Spinoza comme l’implacable passé conditionnant aujourd’hui et demain. À cela Camus répond en incidence par L’Homme révolté. Incitant au volontarisme pour tenter de privilégier l’amélioration de la société. Au-delà de la généreuse vision universaliste de cette doctrine morale, il est des situations qui confinent à nos préoccupations locales. Qui naturellement nous intéressent avec acuité. La Corse a ses particularismes. En bannissant toute idée d’autarcie, sa population est en droit de s’interroger sur ce qui pourrait dessiner l’avènement de 2022. De quoi sera-t-il fait ? S’interroger n’appelle pas de réponses tranchées dont sont uniquement capables les augures. Toutefois rien n’interdit d’ouvrir le livre des aspirations qui forgent une communauté. Les sujets ne manquent pas. Loin de s’étioler, ils prennent force et vigueur, dans une néfaste sarabande qui cloue une île au pilori du progrès partagé. Faut-il rappeler en douloureuse antienne le chômage et la précarité ? Derrière ces mots se dissimulent le mal vivre, l’accès au logement, l’autonomie professionnelle de nombreux jeunes. Alors qu’en douloureux reflet du miroir, la cherté de la vie assaille désormais une grande partie de la population active. Sans oublier les retraités aspirés par la pauvreté, ne pouvant plus vivre dignement à l’automne de leurs existences.
Loin des incantations
Dans notre région que l’on dit bénie des dieux une autre appellation affleure : sous le soleil la misère. Avec en toile de fond la Corse, région la plus pauvre de France métropolitaine. Et un fait cruel entre tous ici une personne sur trois vit sous le seuil de pauvreté. Toutes les explications et les digressions sur les causes factuelles et structurelles ne peuvent satisfaire. L’interrogation est de mise devant un tel malaise sociétal. Comment avec tant d’atouts une île, dont la population active ne dépasse pas cent mille personnes, ne parvient pas à s’approcher d’une économie florissante, source d’atténuation d’un malheur qui n’ose pas dire son nom ? Restos du Cœur débordés. Initiatives solidaires à l’image de celle qu’anime le docteur François Pernin. La liste des associations ne cesse de s’amplifier pour tenter d’atténuer une situation qui s’aggrave. Comme si cela ne suffisait pas, notre région est aussi la proie de forces occultes qui, ici et là, s’emploient à capter les bénéfices de ceux qui se lèvent tôt pour gérer leurs entreprises. Autant de maux qui se conjuguent faisant résonner dans nos mémoires cette prophétie de Pasquale Paoli « Corsica, non avrai mai bene. »
Urgentes priorités
Est-il encore temps pour démontrer le contraire ? Oui, clame l’esprit volontariste. S’attacher aux problèmes avec constance et pragmatisme est déjà un pas vers la réussite. Même si le chemin sera long et ardu et ne se satisfera pas d’incantations ou de rappels de mythes évoquant en leitmotiv une Corse faite d’aiuti e solidarita.
Comment concrétiser l’ébauche d’une initiative pour juguler le long cortège de l’indigence ? D’abord et avant tout en le plaçant au rang d’urgente priorité politique. Elle ne serait pas l’apanage exclusif des édiles de tous bords unis dans une démarche consensuelle, mais impliquerait aussi les socio-professionnels, et tous ceux qui ont voie au chapitre dans les stratégies économiques. Trouver de réelles solutions. Tel serait le seul enjeu en forme de slogan. Aller à l’essentiel, être force de propositions. Le reste n’étant de vains palliatifs sans cesse ressassés, en contradiction avec d’authentiques remèdes.
Pace è salute
Quand un homme a faim, mieux vaut lui apprendre à pêcher que de lui donner un poisson. La formule de Confucius prend en l’occurrence tout son sens. Oui, le traitement social s’impose devant la gravité, il ne doit cependant pas devenir une finalité. Voilà l’enjeu. Tel est le grand défi. D’autres équations sont à l’évidence à résoudre dans notre région. Mais celui-là est sans doute le plus crucial si l’on veut bâtir la Corse de demain.
Cela commence, ici maintenant, avec les vœux de bon di è bon’ annu e bon capu d’annu. Pace è salue per tuttu l’annu.