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Le spectre de l’embrasement 

À la une

Dans une funeste accélération de l’histoire, la mort d’Yvan Colonna cristallisa la crainte d’un cycle de violences. Dans un éloquent non-dit, chacun pensait qu’au glas de Cargèse pourrait succéder les fracas clandestins brisant le silence qui sied à une période de deuil. D’hypothèses en supputations affleure une simple interrogation : et maintenant ? 

Par Jean Poletti

Un assassinat nimbé de mystères. Des responsabilités administratives majeures. L’ombre portée d’un acharnement judiciaire, reflet d’une gestion foulant aux pieds l’esprit des lois. Le verdict est accablant pour l’équité. Dans une spirale, mêlant l’indignation véhémente au guet-apens carcéral jusqu’au silence pesant entourant l’issue fatale, le scénario se figea dans sa parenthèse de deuil. Toutefois, il serait vain de croire que l’implacable enchaînement est définitivement enrayé. Les braises ne sont pas éteintes et les cendres de l’accalmie s’apparentaient à une fausse quiétude. Que seuls les béotiens qualifiaient d’acquise. 

Le gâchis constitutif d’un entêtement partagé dans les allées du pouvoir connu l’irréversible épilogue que l’on sait. L’ukase aux légitimes demandes des trois détenus semblait puisé dans une lettre de cachet, privilège de la royauté pour faire croupir à jamais des êtres dans les geôles. Une sorte de retour au fait du prince dont l’iniquité devint irréversible quand se dressa brusquement un islamiste aux pulsions mortifères. 

Comme dans les tragédies antiques un deus ex machina aux multiples visages s’employa dans l’ombre à figer une situation, occultant le plausible horizon de Borgo. Pour ensuite l’admettre en pleine bourrasque par crainte et opportunisme. Dans une étrange alchimie, le vil plomb devint or. Les senseurs se dédirent. Aux refrains inquisiteurs succédèrent les chants des sirènes. 

Trop tard ? Le penser signifierait que le pire sculpterait les lendemains d’une île. Entre les soubresauts annoncés et le retour aux années de plomb, la frontière est ténue. Elle a la fragilité de cristal. Déjà se profilent des antagonismes dans le monde nationaliste. Les reproches jusqu’alors diffus se font plus acerbes à l’endroit de Gilles Simeoni et sa majorité. Une attitude propice à nourrir un climat de surenchères, d’évidence scruté à la loupe par le gouvernement qui pourrait y trouver du grain à moudre. 

Le terreau de la colère

Mais l’essentiel réside sans conteste dans l’attitude qu’adoptera la jeunesse. Son irruption sur le devant de la scène interroge surprend et brise les schémas établis. Sans que cela puisse encore être théorisé, elle indique cependant un malaise générationnel qui intègre et dépasse l’événementiel dramatique pour s’ancrer dans des revendications trop longtemps corsetées. Sa colère spontanée refléta certes l’injustice faite à l’homme de Cargèse, jeté en pâture aux vils instincts d’un fou de Dieu. Mais qui veut observer le courroux avec acuité décèlera aussi l’angoisse diffuse d’un pessimisme dans l’avenir. Dans une union spontanée, ces jeunes disent avec leurs mots, aux antipodes de la dialectique des politiques, que leur soif du particularisme rejoignait des préoccupations mêlant cherté de la vie, études et diplômes n’excluant plus les affres de l’endémique chômage. Dans un appel pressant, ils dénoncent les carences sociétales qu’ils scrutent au prisme de leurs préoccupations. Celles d’une génération qui se dit sacrifiée par le marasme économique, le développement en panne, le blocage institutionnel, réduisant comme peau de chagrin l’horizon de l’espoir. 

L’atmosphère délétère instille toute l’île. Une recrudescence d’exigences trouve son exutoire dans l’attitude nouvelle campée par le gouvernement. Toutefois, les propos volontaristes du ministre de l’Intérieur furent partiellement battus en brèche par des correctifs du président de la République. Comme si la peur d’avoir lâché trop de lest prévalait. En contrepoint, un préalable de restrictions fut annoncé alors que le cycle de discussions n’est pas encore amorcé. 

Philippiques et fausses notes

Il n’en fallait pas davantage pour que certains voient dans la polémique du drapeau en berne l’esquisse d’une nouvelle stratégie. Celle de la préparation d’une négociation a minima. Dans ce droit fil, et même si comparaison n’est pas raison, faut-il rappeler que la bannière tricolore fut ôtée de l’Arc de Triomphe et momentanément remplacée par celle de l’Europe pour célébrer l’accession d’Emmanuel Macron à la présidence de l’Union européenne ? Là aussi, considérant que le soldat inconnu et sa symbolique mémorielle étaient outragés certains poussèrent des cris d’orfraie. Sans émouvoir outre mesure l’Élysée qui en avait pris la décision. 

Voilà qui démontre que si erreur il y eut, nul n’en détient l’apanage. Elle peut même être commise dans le cénacle jupitérien. Sans qu’il soit judicieux, ici comme sous le monument napoléonien, de monter ces épisodes en épingle. Ou attiser le brasier. Àl’image de cette improbable Marseillaise entonnée par des CRS cantonnés à Furiani, au moment où Yvan Colonna était porté en terre. 

La raison en partage

Il faut raison garder. Ne pas confondre l’essentiel et l’accessoire. Cela vaut pour la Corse et Paris. Car cette fois, plus que jamais, chacun doit conjuguer ses efforts pour que du pire puisse éclore, collectivement, sinon le meilleur du moins le satisfaisant. 

Savoir jusqu’où aller trop loin est un principe politique éprouvé. Il est actuellement à l’épreuve des faits. Au cœur de la croisée des chemins vacille malgré tout une petite flamme de la raison, qu’il conviendrait de protéger. Contre vents et marées…

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