À la uneLa Corse s’est distinguée en plaçant Marine le Pen devant Emmanuel Macron au second tour de l’élection présidentielle. Déjà en 2017, la candidate du Rassemblement national avait fait l’un des plus gros scores de métropole. Mais cette fois, elle bat les records, emmenant l’île sur les pentes dangereuses d’un populisme d’extrême droite. Par Vincent de Bernardi
Que s’est-il passé depuis le temps où son père était persona non grata dans l’île ? En 1992, Jean-Marie Le Pen avait été empêché d’atterrir à Bastia par des nationalistes. Deux ans plus tard, il avait été contraint de se réfugier dans l’aéroport de Bastia à son arrivée, et avait dû repartir deux heures après. Depuis, la stratégie de dédiabolisation engagée par sa fille a fonctionné à plein. Flattant la fibre identitaire, appelant au rejet de l’immigration, elle a trouvé écho auprès d’un électorat de plus en plus large. Elle y a ajouté dans cette campagne 2022, la défense du pouvoir d’achat qui dans le territoire le plus pauvre de métropole, touche parfaitement sa cible. Pour autant, il serait réducteur de s’en tenir à cette seule explication.
En revenant quelques années en arrière, on comprend mieux les rapports complexes entre le Rassemblement national et la Corse.
Lors de la campagne pour l’élection présidentielle de 2017, il y a cinq ans, si des jeunes militants membres de Ghjuventu Indipendentista avaient perturbé son déplacement, Marine Le Pen avait commencé à poser le socle d’un nouveau discours.
Spirale de porosité
Celle qui se présente comme la plus jacobine des candidates à l’élection présidentielle trouve désormais une audience troublante dans l’île. Pourfendeuse du communautarisme, exaltant la nation française, elle se plaît à flatter une identité que les autres candidats ignorent : « Vous êtes corses et vous êtes français, et soyez les deux en même temps »; « L’Union européenne ne défend pas les langues enracinées mais les langues minoritaires, c’est-à-dire ici la langue arabe et non le corse. Et partout chez nous l’anglais, et pas le français. »Comme l’avait souligné le politologue Jérôme Fourquet dans La nouvelle question corse (L’aube, 2017), elle continue à capter un vote identitaire d’ordinaire dévolu aux nationalistes aux élections locales. Cette porosité observée lors du scrutin de 2017 s’est amplifiée cette année, sous l’effet de deux phénomènes qui se conjuguent.
Le premier, c’est un rejet de la politique d’Emmanuel Macron à l’égard de la Corse au cours du quinquennat. Il a donné le sentiment qu’il serait inflexible face aux revendications de la majorité nationaliste. Pire, pour éteindre un incendie naissant après l’agression d’Yvan Colonna en prison, il a envoyé le ministre de l’Intérieur jouer les pompiers, promettant d’engager des discussions sur l’autonomie, ce qui durant les quatre années précédentes avait été refusé. La sanction électorale est sans appel. Emmanuel Macron recueille dans l’île son plus mauvais score de premier tour de France métropolitaine.
Pouvoir d’achat
Avec un taux d’abstention de 37,3%, très au-dessus de la moyenne nationale (25,17%), la Corse se détache à l’échelle de la métropole. Seuls des territoires d’outre-mer affichent des chiffres supérieurs. Au premier tour de l’élection présidentielle de 2017, l’île s’était déjà distinguée par une abstention très marquée (32%) par rapport à l’Hexagone (22%). Ce désintérêt traduit une forme de contestation sans pour autant être une réponse aux injonctions des partis indépendantistes qui avaient appelé au boycott du scrutin pour marquer la défiance à l’égard du Gouvernement
Le deuxième, c’est la question du pouvoir d’achat qui a trouvé un écho assez fort, notamment chez les catégories populaires, acquises aux nationalistes lors des élections locales, qui ont trouvé en Marine Le Pen, celle qui apportait enfin une réponse concrète à la flambée des prix de l’essence, en somme aux fins de mois de plus en plus difficiles.
Pente glissante
Ces deux phénomènes additionnés conduit la Corse sur la pente glissante d’un populisme que l’on observe ailleurs en Europe mais qui surprend lorsque l’on se rappelle l’histoire politique de cette île qui s’est toujours dressée contre les extrémismes.