À la uneSébastien Ristori est analyste financier, directeur de Barnes Corse, enseignant en finance d’entreprise à l’Université de Corse et auteur aux Éditions Ellipses. Il est diplômé et certifié en administration et finance d’entreprise par l’Université de Corse et HEC Paris.
L’inflation est le phénomène d’acheter moins aujourd’hui avec la même quantité de monnaie qu’hier. Les prix augmentent et, par construction, le pouvoir d’achat diminue.
Les causes de l’inflation
Une explication largement répandue consiste à justifier l’inflation par la quantité croissante de monnaie en circulation. Si cette théorie existe, elle est toutefois insuffisante pour justifier la hausse des prix à toutes les occasions, comme en 2008, pour la crise financière, ou l’abondance de liquidité n’a pas été suivie d’une augmentation considérable des prix. En réalité, l’observation économique des décennies passées nous enseigne que l’inflation est très souvent composée, pour partie, par la hausse des prix de l’énergie. Ces derniers ont un lourd impact sur nos entreprises qui – si elles le peuvent – répercutent cette hausse de coût sur les tarifs de vente. Les ménages paient également plus cher l’accès aux fournitures d’énergie et, en tant que consommateurs, perdent du pouvoir d’achat, puisqu’ils paient des prix plus élevés auprès des entreprises qui ont augmenté leurs tarifs. Ce raisonnement est identique pour la hausse des prix des matières premières ou des facteurs de production en tout genre. Pour endiguer cette perte de pouvoir d’achat, une technique connue consisterait à augmenter les salaires. C’est ce que l’on appelle, en économie, « l’effet de second tour ». Sauf que l’augmentation de charges de personnel conduit à réduire le résultat opérationnel des entreprises. Mécaniquement, les sociétés chercheront à compenser la hausse du coût des salaires par une augmentation des prix de vente… Les consommateurs achèteront alors plus cher, annulant à terme la hausse bénéfique des salaires. Il s’agit là du cercle vicieux de l’inflation. Récemment, le gouverneur de la banque d’Angleterre a fortement préconisé de ne pas augmenter les salaires. Un bon sens de gestion, mais un non-sens social. À chacun de se construire son opinion !
La dette reconnue coupable d’inflation
La dette tient également un rôle coupable dans l’inflation. La capacité pour un ménage de s’endetter à bas coût entraîne une volonté de consommation. L’offre et la demande n’ont plus le même point d’équilibre. Juste avant 2022, nous étions dans l’ère « après Covid », où les capacités de production des entreprises n’avaient pas été doublées, mais où la confiance (hautement spéculative !) était provisoirement restaurée et où la demande s’était considérablement accrue. Ce décalage a entraîné une hausse des prix par l’effet de l’offre (insuffisante) et de la demande (très forte), l’ensemble désormais fortement accentué par une hausse des coûts sur l’ensemble des matières premières. Une sempiternelle solution consisterait pour les banques centrales à remonter les taux d’intérêt pour freiner l’endettement et limiter la consommation. Par ricochet, cela provoquerait alors une crise économique et une forte hausse du chômage. Une autre piste serait de freiner l’endettement des états mais cela occasionnerait une hausse des impôts, conduisant alors à une forte période d’austérité. Il n’existe tout simplement pas de bonnes solutions.
Que peut-on faire contre l’inflation ?
L’inflation d’aujourd’hui s’explique par les mesures Covid, par la raréfaction des sources d’énergie amplifiée par un contexte géopolitique très fragile. Les entreprises subissent une pression à la hausse sur les salaires face à une pénurie de main-d’œuvre et s’obligent, pour pouvoir recruter, à accepter de réduire leurs marges à court terme. Du côté des approvisionnements, la fonction financière a pour objet de faire modifier, si cela est possible, la stratégie de l’entreprise : soit utiliser le stock disponible pour éviter d’acheter à outrance à des prix plus élevés qu’auparavant, soit de revaloriser les produits stars de l’entreprise, d’élaborer une nouvelle politique d’achat ou de renégocier, autant que possible, avec ses fournisseurs. Côté management, l’entreprise doit se réinventer : les sociétés qui survivent sont celles qui innovent et qui prennent des parts de marchés, tout en conservant une stratégie de prix agressive sur les produits dits cœurs de business, tout en offrant des innovations à leurs clients.
L’histoire permet d’élaborer des stratégies face à l’inflation
Face à l’inflation des cinquante dernières années, les entreprises ont défini différentes stratégies en fonction du contexte macro-économique de la décennie. Dans les années 70, l’inflation annuelle grimpait de 4 à 10% tandis que les taux d’intérêt étaient très faibles. Dans cette situation, avec des croissances en volume et en prix exponentielles, les entreprises généraient des « profits d’inflation ». Quand les banques se sont rendu compte qu’elles coûtaient moins cher que l’inflation, elles ont alors décidé de prêter à taux variable pour corriger le tir. C’est dans les années 80 que la diminution de l’inflation, l’absence de croissance en volume et la remontée des taux ont refermé le piège sur les sociétés : les entreprises ont dû massivement se désendetter pour alléger la charge de la dette qui était supérieure au taux de croissance et ont dû drastiquement réduire les besoins en fonds de roulement pour préserver de la trésorerie. Dans les années 90, le faible niveau d’inflation, la faible croissance en volume et les forts taux d’intérêt n’ont pas permis aux entreprises d’adopter de nouvelles politiques tarifaires ou n’ont pas trouvé de nouveaux marchés après l’essor des Trente Glorieuses. Elles ont alors recherché des pistes de croissance externe, notamment par des fusions acquisitions. C’est d’ailleurs à la toute fin des années 90 que la plus grande vague de rapprochements d’entreprises a eu lieu. Enfin, dans les années 2000, la faible inflation, le faible niveau de croissance en volume et les faibles taux d’intérêt ont laissé les investisseurs sur leurs faims ! Pour trouver des rendements plus élevés, du moins jusqu’à la crise de 2008, les investisseurs ont dû s’orienter vers des activités fortement risquées, comme les sociétés financées par effet de levier. L’essor du private equity et de rendements plus attractifs s’est d’ailleurs confirmé à la fin des années 2000 et 2010.
Quelles perspectives pour les années 2020 ?
À ce jour, faire des hypothèses relève de la spéculation. Pour l’heure, avec une croissance en panne, des taux d’intérêt réels faibles et une inflation en forte hausse, la tendance est à la passivité. Le piège réside dans la remontée des taux qui pourrait asphyxier la consommation, réduire drastiquement les investissements et faire pression sur les entreprises qui seraient contraintes de se désendetter le plus vite possible dans la mesure de leurs moyens. Une forte inflation pourrait emporter les sociétés à maturité, fortement endettées par la crise de la Covid et dont les pistes de croissance sont nulles. Aucun ne doute désormais que de fortes politiques publiques soient engagées par le nouveau Gouvernement pour sauvegarder l’économie.