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Goût de cendres  dans les CASERNES

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Est-ce la fin des sapeurs-pompiers volontaires ? Un rapport de l’Inspection générale de l’administration en formule l’éventualité.
Dans l’île une telle décision sonnerait le glas de nombreuses casernes du rural qui ne pourraient plus compter sur un grand nombre desdeux mille deux cents combattants du feu qui opèrent sous statut de volontariat.

Par Jean Poletti

Un document de quelque soixante pages remises discrètement à Darmanin stipule que les pompiers volontaires doivent rejoindre le giron des salariés de plein droit. Une éventualité qui s’inscrit dans le sillage d’une directive européenne sur le temps de travail. Sans entrer dans le détail technique disons pour fixer les esprits qu’actuellement l’essentiel des gardes est réalisé par le volontariat. En cas de réforme, elles ne pourraient pas excéder six cents heures annuellement. Voilà qui aboutirait juridiquement à assimiler les volontaires à des travailleurs. Une mutation qui changerait radicalement la fonction et l’organisation de cette corporation, contraignant bon nombre à se détourner de leurs missions qu’ils assimilaient à maints égards à du bénévolat. En effet, et la précision est d’envergure, jusqu’à présent ce sont des citoyens qui s’engagent dans ces missions de sauvegarde qui rejoignent les rivages de la solidarité. Incendies, aides aux blessés, transport de patients et nombre d’autres interventions sont quotidiennement à mettre à leur actif. Ils accomplissent ces insignes tâches en corolaire de leurs activités professionnelles avec l’accord des employeurs concernés. D’où et cela est essentiel dans ce dossier ils perçoivent des indemnités et non une rémunération. En l’occurrence, ces volontaires bénéficient d’un défraiement de huit euros de l’heure quand ils sont mobilisés sur le terrain. Et six euros en garde postée. Les transformer en salariés serait sacrifier le noble concept de l’altruisme sur l’autel d’un légalisme destructeur. Concrètement les Services Incendies Secours devraient signer avec les postulants des contrats à durée déterminée, alors que jusqu’à présent suffisent des contrats d’engagement quinquennaux ou plus fréquemment saisonniers. D’où une explosion des coûts à maints égards insupportables. Et en incidence le retrait pur et simple de nombreux volontaires qui refuseraient sans ambages de revêtir l’uniforme des pompiers professionnels en lieu et place de la profession qu’ils exerçaient.

Harmonie brisée

Une brève analyse suffit à affirmer que ce pavé dans la mare jeté par l’Inspection générale de l’administration relève de l’attitude des ronds de cuir tant décriés par Courteline. En disant normaliser et harmoniser elle brise un édifice qui fonctionnait pour une chimère, en tant que telle inapplicable, qui sape financièrement les structures et annihile l’esprit citoyen. Et sans jouer les Cassandre, il n’est pas usurpé de souligner que maintes casernes de l’intérieur où le volontariat est omniprésent seront contraintes de fermer leurs portes. Elles ne pourront pas faire autrement en cas d’instauration de la nouvelle règle stipulant un repos quotidien de onze heures consécutives et l’interdiction d’excéder quarante-huit heures de travail hebdomadaire. Mais dans chaque décision ou hypothèse, Bruxelles n’est jamais loin. Souvent sa main se devine et guide subrepticement celles des l’Hexagone. En l’occurrence, elle a clairement tenu celle des décideurs qui affirment sans ambages de «saisir les SIS les plus vulnérables à une application de la directive européenne sur le temps de travail, afin qu’ils établissent un plan de réduction de cette vulnérabilité». Langage abscond dont sont friands les hauts fonctionnaires, qui en langage courant dit haro sur les volontaires, bienvenue en lieu et place aux professionnels. Pas de place pour une cohabitation entre ces deux fonctions, apanage efficient d’aide aux personnes et de protection des biens. Voilà le nœud gordien que l’instance supranationale veut trancher avec la complicité d’une institution hexagonale.

Promesses oubliées

Cela est d’autant plus étonnant que peu avant d’être destinataire du mémoire couperet le ministre de l’Intérieur avait fait l’éloge lors du congrès national des sapeurs-pompiers. Et promis d’accroître et de renforcer le volontariat. Dans ce droit fil, il annonçait un plan national d’action de quatre années pour concrétiser cette annonce officielle. Le pensionnaire de la Place Beauvau a-t-il balayé d’un revers de manche les recommandations dont il fut destinataire? L’expectative est de mise tant on voit mal cet organisme élaborer
des conclusions que rejetait par anticipation l’autorité de tutelle. Double langage
ministériel? Volonté de forcer la main de celui qui est en charge de la sécurité civile avec
l’ombre portée des directives aux accents de sanctions, née dans les bureaux lambrissés
bruxellois ? Et voilà que ressort opportunément, des cartons un arrêt rendu voilà cinq ans par
la Cour de justice européenne stipulant qu’un pompier volontaire belge était un travailleur.
Conséquences? Même les gardes à domicile devaient être payées au titre des heures de travail. L’application de cette décision qui peut faire jurisprudence, corroborée par les pressantes recommandations de l’inspection générale, serait fatale au fonctionnement actuel. Au-delà de toute considération relative au lien sociétal qui se déliterait les deux SIS de Corse ne pourraient pas supporter le surcoût financier évalué à quelque vingt-cinq millions d’euros par département. Et voilà comment un juridisme exacerbé qui veut s’auréoler de bons sentiments risque de mettre en jachère un fonctionnement qui satisfaisait l’ensemble des parties concernées.

Élus sur les braises

Une remarque que fait sienne Hyacinthe Vanni, président du Service incendie et secours de Haute-Corse. « Ce rapport détaillé et exhaustif sur les constats se gâche au moment d’apporter des solutions. Elles pourraient apparaître légalistes et faciles au premier abord mais seraient assurément mortifères à moyen terme. » Et de souffler sur les braises « Utiliser l’artifice du droit du travail pour protéger des citoyens volontaires et altruistes, c’est au contraire les condamner.» Réaction sinon identique à tout le moins similaire pour la présidente de Haute-Corse. Véronique Arrighi explique que « Mettre en difficulté le volontariat, qui mêle activité professionnelle et engagement citoyen, aurait des conséquences terribles dans nos territoires, notamment en zone rurale.» «Le bon sens est la chose du monde la mieux partagée», selon Descartes, paraît cependant étranger dans certains esprits adeptes de pensum qui bannissent l’élémentaire réalité. Ils sont dans le cas présent hermétiques aux évidences comme seuls savent l’être certains technocrates. Le problème transcende désormais le strict cadre corporatiste pour devenir politique. Ainsi U partitu di a Nazione fustige cette plausible restructuration. Il martèle que les «instructions de l’IGA conduisent mécaniquement à un tarissement des effectifs volontaires». Et d’ajouter qu’au niveau des effets pervers se profilent de nombreuses incidences directes dont une explosion des coûts de fonctionnement des SIS et portant un impact financier qui sera loin d’être neutre. Une telle directive contraindrait au bas mot de professionnaliser plusieurs centaines de sapeurs-pompiers.

Contre-feux

Les responsables insulaires sont bien décidés à allumer des contre- feux. Ils mettront tout en œuvre pour pérenniser un dispositif que les élus ont choisi pour leur territoire. Vœu pieu? Nullement. Des initiatives seront prises afin de réunir l’ensemble des acteurs politiques locaux. Et dans le même temps, un pont sera jeté avec des départements de Sud Méditerranée sur lesquels plane également cette épée de Damoclès. Les préfets seront également sollicités afin d’exposer la problématique sous tous ces aspects, afin qu’ils fassent remonter griefs et inquiétudes. L’enjeu est simple. Briser dans l’œuf une idée aux atours de lubie. À l’heure où le gouvernement répète à l’envi des termes de transparence, dialogue, concertation, une entité dans une démarche proche du secret rédige un rapport et le transmet au plus haut niveau de sa hiérarchie. En terme de démocratie participative, il est malaisé de trouver pire exemple! Gérald Darmanin serait bien avisé d’écouter ces doléances qui ne sont pas un feu de paille, mais risquent de se propager sur le terreau d’une injustice tant elle rejoint ici un enjeu sociétal. Il pourrait tout autant demander à l’inspection générale de réfléchir sur les vrais enjeux organisationnels de la logistique en regard du réchauffement climatique et l’un de ses corollaires qui est la multiplication des foyers. Ou bien répondre par exemple aux demandes répétées du député Michel Castellani qui réclame le positionnement d’un Canadair à Poretta.

 » Considérer les sapeurs-pompiers volontaires comme des travailleurs relève du concept technocratique hors sol et complètement déconnecté des réalités.  » 

Hyacinthe Vanni

HYACINTHE VANNI, PRÉSIDENT SIS DE CORSE-DU-SUD

Risque d’embrasement

Mais étrangement sur ces sujets structurels ou factuels, cette institution est d’un silence assourdissant. Certes les hauts fonctionnaires qui la dirigent doivent prouver leur utilité pour ne pas être marginalisés. Mais cela ne doit pas trouver pire exemple! Gérald Darmanin serait bien avisé d’écouter ces doléances qui ne sont pas un feu de paille, mais risquent de se propager sur le terreau d’une injustice tant elle rejoint ici un enjeu s’effectuer au détriment de communautés qui tentent de répondre au mieux et dans leurs contraintes budgétaires à des actions diverses et variées qui se fondent dans le noble creuset du secours. À trop confondre essentiel et accessoire, il est des têtes, que l’on dit pensantes, qui se fourvoient sans imaginer qu’un incendie social peut rapidement devenir incontrôlable.

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