ÉLOGE DE L’ÉCOLE MATERNELLE
À la uneRécemment un ancien président de la République, Nicolas Sarkozy, soucieux des finances publiques, incitait à la réduction du nombre de fonctionnaires. Rien d’étonnant à cela car il l’avait déjà dit et fait lors de son mandat en ne faisant remplacer qu’un fonctionnaire sur trois départs à la retraite.
Par Michel Barat ancien recteur de l’Académie de Corse
Lui qui affichait une volonté sécuritaire ferme, avait appliqué cette réduction numérique de manière conséquente aux forces de police et de gendarmerie. On en connaît les effets et il a fallu attendre ces dernières années pour retrouver les effectifs antérieurs à son mandat. Il récidiva milieu novembre. Mais, cette fois, il ne prit pas comme exemple le ministère de l’Intérieur mais celui de l’Éducation : c’est le nombre d’enseignants qu’il met en cause en prenant fort étonnamment comme exemple les professeurs d’École maternelle et plus précisément ceux de la grande section. Péremptoirement, il déclarait que la France ne pouvait supporter financièrement d’avoir un million de fonctionnaires enseignants, ce qui est déjà une inexactitude car le nombre de professeurs de toutes catégories et de toutes disciplines est autour de huit cent mille. Mais il y a pire c’est la contestation de leur temps de travail pour mettre en cause la nature de leur utilité sociale en s’attaquant aux maîtres de l’école pré-élémentaire, c’est-à-dire la maternelle dans son appellation affectueusement populaire. Il précise qu’une enseignante de maternelle, car ce sont très majoritairement des femmes mais pas seulement, exerce son métier vingt-quatre heures par semaine et cela pendant six mois de l’année. Ironiquement, il ajoute qu’il faut ajouter le temps de préparation pour une grande section, laissant entendre que vu l’âge des enfants il n’y a rien à préparer.
Ignorance au niveau du mépris
Tout cela montre une ignorance totale de ce qu’est l’École et plus particulièrement l’École maternelle. Pire cette ignorance est élevée au niveau du mépris. Certes une institutrice comme on les appelait naguère d’un nom très pertinent a porté plainte en diffamation. Mais ces propos dans la bouche d’un ancien Président sont partagés par une masse importante de la population qui aujourd’hui n’hésite pas à transformer son mépris en violence.
On pourrait contester cette charge contre les enseignantes et les enseignants du pré-élémentaire en dénonçant ses inexactitudes : un ou une enseignante d’élémentaire ou de pré-élémentaire n’a pas vingt-quatre heures par semaine à l’École mais vingt-sept dont vingt-quatre directement devant élèves. Mais leur travail ne se limite pas à leur présence dans les bâtiments scolaires, ils ont l’obligation de fournir aux inspecteurs les documents journaliers de préparation et d’organisation des séances de leur classe. Cela fait partie des métiers dont le travail ne s’arrête pas à l’école mais rentre à la maison avec l’enseignant.
En fait une institutrice ou un instituteur – décidément je préfère cette qualification très républicaine à celle de professeurs des écoles qui gomme la spécificité et la difficulté de ce métier – est avant tout en permanence enseignant à l’intérieur comme à l’extérieur de l’École.
Écouter Monsieur Germain
L’École constitue d’une certaine manière l’église de la République, et ses maîtres, jadis appelés ses « hussards noirs », en incarnaient l’autorité. En France, la République s’est construite autour de l’École et du Savoir : la vertu républicaine incitait plus à la réussite scolaire et au savoir qu’à la réussite financière. Pas d’Albert Camus sans un Monsieur Germain, instituteur de son état, qui convainquit sa mère quasi analphabète et sa famille dans la pauvreté, de lui faire poursuivre ses études au-delà du primaire. À traiter les « Monsieur Germain » d’aujourd’hui par le mépris, on avorte les Camus, les Prix Nobel, de demain.
En assignant à une société comme premier et seul rôle de créer de la richesse, de se donner comme seul horizon la puissance financière, au lieu de considérer que le développement économique et la croissance ne sont pas pour eux-mêmes mais pour l’élévation des citoyens et de leur bien-être, la pente de la décadence se dessine. La puissance économique et financière si elle est nécessaire devient destructrice de la civilisation quand elle en devient la finalité et non le moyen. C’est à ce qu’on a un peu assisté avec la réélection de Trump aux États-Unis : la recherche de la puissance sans frein ni limites sera encore plus le moteur de cette présidence et finira par provoquer l’abaissement du pays.
Honneur à nos maîtres
Comme le destin de chacun se joue pour beaucoup dans les premières années, à l’âge de l’école maternelle, il est suicidaire pour une nation d’en mépriser les acteurs.
Au contraire il faut au moins redonner autorité sociale et honneur à nos maîtres que nous payons financièrement très mal. Vive l’École qui finalement est le premier moteur de la grandeur d’une nation.