

Par Jean Poletti
Bayrou joue-t-il sa dernière carte de Premier ministre ? Les oppositions bruissent de censure gouvernementale en septembre, tandis que le camp libéral adopte le perfide soutien du pendu. Bref, l’homme de Pau est dans un splendide isolement. En quête de quelque quarante-cinq milliards pour boucler le budget, il promet du sang et des larmes. Mais n’est pas Churchill qui veut ou de Gaulle qui peut. Le Béarnais connu de longue date pour sa prudence de sioux utilise cette fois des arguments coupant comme le diamant. La France est en quasi-faillite. Les chiffres donnent le tournis. Trois-mille-cinq-cents milliards d’euros de déficits. Un chiffre qui défie l’entendement. Plus compréhensible les cinq mille euros d’endettement supplémentaire chaque seconde. Et comme disait Coluche « c’est nous qu’on paie ». Tous contraints de mettre la main à la poche. Coupures dans la santé, retraites gelées, collectivités au pain sec. Voilà ce qu’en euphémisme Bercy nomme année blanche, alors que le noir lui irait si bien. Pour les concepteurs de cette alchimie couperet, initiée dans le secret, nulle alternative. En filigrane se profile le spectre de la Grèce. Tandis que le Fonds monétaire international surveille la situation comme le lait sur le feu. Prêt à sanctionner. Certes, il ne s’agit que de propositions pouvant être amendées. Notamment par un rééquilibrage de l’effort impliquant les grandes fortunes, dont la contribution se veut dans cette première mouture d’une surprenante discrétion. Mais au-delà de l’implacable constat sont passées par pertes et profits les causes de la débâcle. Les Mozart de la finance qui pariaient sur la politique de l’offre et du ruissellement sont muets comme des carpes ou partis sous d’autres cieux. À l’image de Bruno Le Maire qui enseigne, interdit de rire, les finances à Genève ! Celui qui fut durant sept le grand argentier du pays fut sourd et aveugle aux dettes qui s’amoncelaient. Son credo ? Tout va très bien, madame la marquise. Nulle autocritique mais simplement un énigmatique « un jour vous saurez. » Et que dire des quelque cinquante milliards de subventions annuelles aux grandes entreprises qui souvent empochaient les chèques puis licenciaient ou fermaient boutique ? Là aussi silence de cathédrale. Michel Barnier lors de son fugace passage à Matignon émit certes le souhait de savoir à quoi avait servi cette manne financière. Vœu pieu. Passez muscades, roulez carrosses. Et voilà Édouard Philippe se rappelant au bon souvenir portant le coup de grâce. « Ce n’est qu’un plan d’urgence qui ne propose aucune réelle transformation, pas de réforme structurelle des politiques publiques qui ne fonctionnent plus. » Comme disait Chirac s’agissant de Balladur « quand on a de tels amis pas besoin d’ennemis ». En sortant des sentiers battus et analyses diverses et variées, une autre affleure. Elle est tout à la fois morale et psychologique. Bayrou sait qu’à la rentrée ou plus tard il sera mis en échec. Aussi ne prépare-t-il pas sa sortie par le haut. En laissant la trace du courage dans la tempête qui gronde. Sombrer corps et biens mais avec ce panache blanc cher à son modèle Henri IV. Voilà vraisemblablement supputation gratuite mais cependant recevable. Notamment avec la triste fin de son prédécesseur qui pour durer se mua en vassal de Marine Le Pen. Elle baissa néanmoins le pouce et le renvoya à ses chères études. Celui qui passe pour être sans relief ne veut sans doute pas calmer encore une minute monsieur le bourreau. Il livre une feuille de route et advienne que pourra. Pouvant ainsi emprunter au roi François 1er « Tout est perdu, fors l’honneur. » Pour l’heure ces digressions ne font pas le lit des citoyens. De manière directe ou implicite, tous devront, selon une formule triviale, cracher au bassinet. L’opinion comprend ainsi que celui qui occupe l’Élysée, auréolé du titre de spécialiste de la finance bancaire, n’est pas forcément apte à exceller dans la saine gestion des comptes publics. Comme si de rien n’était le voilà transformé en chef de guerre, alourdissant la barque de trois milliards et demi pour moderniser l’armée. L’État est au milieu du gué. Sans possibilité de rebrousser chemin. Le remède pire que le mal consistant à assommer plus encore ceux qui déplorent déjà des fins de mois sonnant creux. Nœud gordien. Quadrature du cercle. Et par un surprenant pied de nez, Bayrou devra amadouer les parlementaires socialistes pour tenter de passer le cap, qui pour l’instant n’est pas celui de bonne espérance mais s’apparente aux quarantièmes rugissants. Et la Corse dans cette plausible mutation budgétaire ? Assurément, elle sera durement frappée par l’onde de choc. Comment pourrait-il en être autrement quand on sait qu’elle est la région la plus pauvre du pays et au coût de la vie le plus élevé. Elle compte nombre de retraités précaires, emploi en berne, économie atone et intérieur, déjà orpheline de subsides. Pour qui sonnera le glas annonçant la drastique rigueur? Osons malgré tout croire que la création du docteur Guillotin sera finalement maniée avec sagesse et équité. Sur un plan général, d’aucuns remarqueront que les griefs venant de tout l’échiquier national ne produisent pas de contre-propositions sériées. Le y’à faut qu’on est de retour. La réalité a la fragilité du cristal. Le mentor de Bayou voulait que le bon peuple puisse mettre la poule au pot chaque dimanche. Pour l’instant, comme l’affirmait Audiard, le drapeau noir flotte sur la marmite.