Liaisons Corse-Sardaigne : Cherche bateaux désespérément

Tel un serpent de mer, l’offre d’une rotation pérenne entre les deux îles resurgit avec l’été. Il est paradoxal que si proches elles soient quasiment privées d’échanges faute de liaisons chaotiques. Les ministres des transports français et italien sont sollicités pour mettre en chantier de nouveaux navires. Coup d’épée dans l’eau ?

Par Jean Poletti

Entre Bonifacio et Santa Teresa Gallura, notamment, les traversées relèvent des coulisses de l’exploit. Non pas à cause des modestes distances, mais d’un navire peu fiable sujet aux récurrentes avaries. Ainsi, deux îles sœurs s’ignorent superbement pénalisant le réciproque flux commercial ou passager. La situation dure et perdure au point d’en devenir vaudevillesque. À l’heure où en tous points du globe les vastes étendues de mer sont sillonnées par des bâtiments alliant confort et régularité de métronome, deux ports situés à une vingtaine de kilomètres de distance s’assimilent à la gageure. Les échanges qui devraient être monnaie courante sont l’exception. Cela n’est nullement fruit du hasard mais d’armateurs qui pour des raisons diverses et variées ne remplissent pas le cahier des charges. Le saut de puce devient aventure entremaillée d’arrêts consécutifs aux pannes de moteurs. Comme le dit en boutade éclairante un ancien client « Jusqu’au moment de l’embarquement, nul ne savait si le départ serait effectif, et à l’heure, et où l’on accosterait. » Une situation qui pourrait prêter à sourire tant elle renvoie à e storie doppu cena dans la cité des falaises et ailleurs.

Doléances conjointes

Tenter d’en finir avec ces dysfonctionnements qui insultent la modernité. Éradiquer ce non-sens. Restaurer la bonne marche d’un service névralgique ankylosé. Telle est la volonté conjointe en Corse et en Sardaigne des élus en charge des transports. Ils l’ont fait savoir aux ministres français et italien, évoquant dans une missive qu’une action urgente s’imposait. Jean-Félix Acquaviva et Barbara Manca réclament légitimement aux tutelles responsables de trouver des ressources pour la construction de nouveaux navires. Et pour donner davantage d’amplitude à leur revendication de suggérer la création d’une structure publique locale transfrontalière. Sa mission ? Organiser par le truchement d’un appel d’offres commun aux deux régions l’acquisition de navires flambant neufs. Et ainsi en finir, une bonne fois pour toutes, avec les aléas récurrents et des prestataires qui ont montré leurs limites. La doléance puise dans la réalité. Elle est mentionnée noir sur blanc, comme pour mettre les décideurs devant leurs responsabilités et accessoirement prendre date si ces derniers faisaient la sourde oreille. Ou noyaient le poisson dans des arguties de circonstance. Acquaviva et Manca, unis comme les doigts de la main, soulignent ce qu’ils nomment « la crise permanente ». Est-elle fruit du hasard ? Nullement disent-ils tous deux en chœur. La triste réalité est due essentiellement à la vétusté des navires utilisés et de l’absence d’un marché compétitif entre les opérateurs.

Navires fantômes

Constat à l’appui, il est rappelé qu’un seul ferry opère seul alors qu’ils devraient être deux. Par ailleurs, ce dernier est sujet à des avaries qui l’empêchent de fonctionner comme cela fut entre autres le cas durant six mois l’an dernier. Par intervalles, ce ne sont donc au mieux que quatre rotations quotidiennes qui sont opérées en lieu et place des sept prévues. Si tant est que le seul et unique navire ne tombe plus en panne. Auquel cas les conséquences sont aisées à imaginer. Et même si le Giraglia vient de reprendre du service après une longue parenthèse, cela n’efface pas l’interrogation sur la fiabilité de cette ligne.

Sur un plan règlementaire, la traversée malgré la faible distance est classée connexion internationale. Aussi les nouveaux bateaux devraient impérativement répondre à une classification spécifique de navigation, tout comme celles permettant de manœuvrer dans les petits ports.

Mais pour l’heure nous sommes à de longues encablures de ces éléments techniques. L’essentiel relevant d’une volonté politique entre Paris et Rome. Accèderont-ils aux requêtes qui pour être fondées pourraient se perdre dans les méandres de l’oubli. La France, cela n’est pas illusoire de le penser, arguera des finances publiques dans un étiage alarmant. Quelle tonalité dans l’autre capitale ? Il est prématuré de livrer une réponse, mais dire que l’initiative n’est pas arrivée à bon port ne paraît pas exagéré.

En tout cas, une constante demeure. Visible et éclatante. La Corse et la Sardaigne ne peuvent décemment pas continuer à se tourner le dos à cause d’une logistique inopérante qui annuellement laisse couramment à quai au bas mot deux cent cinquante mille passagers.

Naufrage commercial

« Là où il y a une volonté, il y a un chemin », fut-il marin, disaient Lénine, Churchill ou Einstein. Qu’importe la paternité du slogan. Éloignées de quelque miles marins, deux communautés attendent impatiemment que cesse ce naufrage commercial. Cela n’équivaut pas à tirer des plans sur la comète mais à satisfaire un élémentaire besoin. En l’occurrence faudra-t-il là aussi que soient programmées des manifestations conjointes de part et d’autre du bras de mer pour que les gouvernants prêtent une oreille attentive ? Ne jouons pas les oiseaux de mauvaise augure et espérons que Jean-Félix Acquaviva et Barbara Manca auront pu déciller les yeux de leurs interlocuteurs sur une intolérable indigence.