« Faire de la Corse un phare méditerranéen de l’innovation »

Daniel Luccioni

Portrait

Par Karine Casalta

« Moi, si quelque chose est facile, ça ne me motive pas du tout. Par contre, si on me dit : “c’est impossible”, là, ça m’excite !» Dès les premières minutes de notre entretien, Daniel Luccioni donne le ton. Porté par une énergie presque contagieuse, l’entrepreneur à l’initiative de TecnulugIA, un salon inédit dédié à l’Intelligence Artificielle et à la Robotique, organisé du 15 au 17 octobre prochain à Ajaccio, s’apprête à relever l’un de ses plus grands défis : Faire de la cité impériale un véritable pôle méditerranéen de l’innovation.

Le choc du CES

Rien, pourtant, ne le prédestinait à devenir entrepreneur dans la tech. Devenu acheteur pour les services de l’état et des collectivités publiques après avoir débuté sa carrière professionnelle dans le domaine de la vente, Daniel Luccioni n’a pas un parcours classique d’ingénieur ou de startupper. Son déclic a lieu en 2018, presque par hasard. « J’étais parti au CES de Las Vegas avec un ami, juste par curiosité. Et là, je me suis retrouvé dans un univers que je ne connaissais pas du tout, celui de la tech ultime, si on peut dire ça comme ça ! Parce que c’est le plus gros secteur de la tech du monde. Un évènement vraiment bouleversant d’un point de vue à la fois culturel et intellectuel, où l’innovation est plus que présente, portée par des gens venus parfois du bout du monde, sans moyens énormes, mais capables de présenter des innovations incroyable ! »

C’est là, que devant un prototype de taxi volant, l’eVTOL de Bell Helicopter, il est saisi : « Je me suis dit : ça, ce serait extraordinaire d’avoir ça en Corse. Relier Ajaccio à Bastia ou Porto-Vecchio en quelques minutes… Naïvement, je pensais que si c’était présenté, c’est que ça volait déjà, et je suis allé les voir pour leur demander quand est-ce qu’ils pensaient pouvoir le commercialiser en Europe. Mais ce n’était qu’un concept. Pourtant, l’idée de faire venir cette technologie en France ne m’a plus lâché. »

Fédérer pour réussir

De retour en France, Daniel décide de se lancer. Sans formation d’ingénieur ni connaissance aéronautique, mais avec une bonne dose d’audace « C’est l’inconscience de l’incompétence dans son paroxysme absolu, sourit-il. L’essentiel, n’était pas d’être ingénieur, mais de croire qu’avec les bons talents, tout est possible ». Il fonde alors le projet Buttairfly, une offre de transport de passager par drone, neutre en carbone, combinant véhicule autonome et module volant, qu’il présente à peine un an plus tard, en 2019 au CES avec la délégation French Tech Nouvelle Aquitaine. Mesurant  l’écart qui se creuse entre les territoires ayant intégré́ l’IA comme priorité́ et ceux qui hésitent encore, cette première expérience lui apprend surtout une chose : « Au-delà de l’idée, un projet réussit surtout grâce à ceux qui le portent ». Et de citer l’exemple d’un Elon Musk avec Space X ou encore d’Airbnb, des projets auxquels personne ne croyait mais dont les fondateurs ont su trouver des solutions pour y arriver.  « Les investisseurs l’ont bien compris : ils misent d’abord sur des personnes. Et c’est ça, aujourd’hui, qu’il faut vraiment faire comprendre aux participants et aux gens qui ont des projets à porter -c’est un peu l’un des objectifs du Salon-: ne vous arrêtez pas à des contraintes techniques qui peuvent sembler impossibles à solutionner aujourd’hui. Soit la solution existe déjà mais vous ne le savez pas, soit, on la trouvera, et ce sera  peut-être avec vous, si vous êtes capables de fédérer les bonnes personnes à fédérer tout au long de votre projet et au travers de vos idées. »

Une conviction plus que jamais mise en application dans le cadre du salon TecnulugIA, construit en collaboration avec la M3E,  et riche de rencontres et d’alliances. Cette aventure, commencée modestement avec l’idée d’organiser une formation au no-code à la cité Grossetti à Ajaccio, s’est rapidement transformé en un projet bien plus ambitieux : 2025 devait marquer le dixième anniversaire de la Résidence Startup, organisée chaque année en septembre par la M3E et la Corsican Tech aux côtés de la société ISSEHO. Plutôt que de s’en tenir à une célébration, la M3E a choisi de renforcer, élargir et accélérer son action en imaginant un événement d’envergure.

C’est dans ce contexte, au mois de mai dernier, qu’Audrey Paoletti, directrice générale, et Linda Gendre, en charge de l’accompagnement entrepreneurial, ont rencontré Daniel Luccioni, alors en réflexion avec Francis Lelong autour d’une journée dédiée à l’IA et au No Code. Et là, la mayonnaise a pris !»  Tout s’est alors accéléré pour devenir en quelques semaines un événement international de trois jours, mêlant ateliers, concours de pitch et conférences autour d’intervenants de renom. « On s’est dit : pourquoi ne pas élargir ? Pourquoi ne pas créer un événement ouvert à tous : entrepreneurs, étudiants, scolaires, grand public ? On est partis en toute inconscience, mais avec l’envie d’écrire une petite page de l’histoire de la Corse. »

Un salon pour tous les publics

L’ambition du salon est claire : faire de l’évènement un accélérateur d’innovation et d’entrepreneuriat en faisant découvrir les technologies émergentes au plus grand nombre, des élèves de primaire aux entrepreneurs aguerris. Pour ce faire le programme du salon, construit autour d’intervenants prestigieux, se veut résolument inclusif. « On veut un avant et un après. Avant, les gens ont entendu parler d’IA et de robotique. Après, ils en auront pris conscience. » Et lever par-là même les craintes quel’IA peut parfois soulever « Le plus grand danger, c’est de ne rien faire. Oui, l’IA peut faire peur, comme Internet à ses débuts. Mais il faut comprendre que ce n’est qu’un outil. Un outil fantastique au service de l’humain, qui peut nous rendre plus performants si on apprend à le maitriser » véritable laboratoire pédagogique, même les enfants du primaire y trouveront leur place grâce à un concours qui leur permettra de présenter leurs idées et de rêver sans limites. « On va les accompagner durant tout le temps scolaire de l’édition 2025 à l’édition 2026 pour que leurs idées passent du concept à une réalité concrète, comme réaliser une maquette, et apprendre à prendre la parole devant des gens pour la présenter. Un gamin de 10 ans, au fin fond d’un village, pourra imaginer une base sur Mars et, qui sait, pourquoi pas, être accompagné jusqu’au centre de commande de la NASA. C’est ça, l’esprit : leur apprendre très tôt que rien n’est impossible !» 48 startuppers se verront eux aussi, offrir leur chance en quelques tours de roue, grâce à un concept inédit développé en première mondialepour le salon : Le Big Wheel Pitch, une version moderne de « l’elevator pitch » (voir encadré)

Et déjà d’envisager de créer des passerelles avec des partenaires nationaux et internationaux, pour renforcer les synergies et ouvrir de nouvelles perspectives de croissance. Certains seront d’ailleurs, là à titre personnel dès cette année, pour découvrir le concept et pouvoir s’en saisir afin de le développer dans le but de monter un programme européen commun visant à valoriser les échanges.

La Corse comme tremplin

S’il est vrai que l’événement aurait pu se tenir ailleurs, Daniel Luccioni dont la famille est originaire de l’Alta Rocca, a tenu en effet à l’ancrer à Ajaccio. « Malgré cette culture du lamentu qui m’agace au plus haut point, on a ici des gens brillants, capables de choses extraordinaires mais qui souvent se prennent des murs, ou sont obligés de partir pour les faire ailleurs. Apportons-leur des solutions. Montrons-leur que depuis ici, on peut leur apporter des choses pour faciliter les projets qu’ils veulent porter et ce qu’ils veulent concrétiser. (…) On veut montrer que non seulement on peut faire des choses qu’on pensait difficiles ou impossibles, mais aussi que la Corse est un vivier. Et que depuis Ajaccio, on peut faire émerger des solutions pour le bassin méditerranéen et attirer l’attention de toute la Méditerranée. »

L’ambition est claire : faire de la Corse un rendez-vous incontournable. « Nous aurons dès cette année des partenaires d’Afrique du Nord, d’Italie, d’Espagne. Et j’aimerais qu’un jour, on fasse travailler ensemble pourquoi pas,  des ingénieurs israéliens et palestiniens. Faire abstraction totale de la politique, et mettre juste de l’intelligence au service de l’avenir. (…) L’objectif est qu’une fois qu’ils auront participé, les gens se disent, à quand la prochaine session?  Ou maintenant, j’ai compris, ça, je peux le faire avec qui ?  Et que tous repartent en se disant : on ne peut pas s’arrêter là. On a posé la première pierre, maintenant on construit la tour. »

Le Big Wheel Pitch : quand les idées prennent de la hauteur

À deux pas de la Cité Grossetti, où se tiendra le salon TecnulugIA, la grande roue du front de mer devient le théâtre d’une première mondiale : le Big Wheel Pitch.

Réinventant l’elevator pitch, ce moment suspendu où un entrepreneur doit convaincre un investisseur en quelques secondes coincés entre deux étages, ici les entrepreneurs ne présentent plus leur projet dans un ascenseur mais dans la grande roue surplombant la Méditerranée .

À moins de 100 m de la Cité Grossetti, les startuppers monteront dans la grande roue et auront deux minutes, le temps d’un tour de roue, pour présenter leur projet en face à face à un investisseur, puis trois minutes supplémentaires – deux tours de roue – pour répondre à ses questions et le convaincre… et peut-être décrocher une suite.

Plus qu’un simple pitch, c’est une expérience audacieuse, où chaque rotation devient une opportunité et une métaphore des hauts et les bas de l’entrepreneuriat,

Mêlant le sérieux de l’investissement à la légèreté d’un tour de manège cette première mondiale reflète l’esprit de TecnulugIA : oser innover, autrement.