
EDITO

Par Jean Poletti
Le peuple n’aime plus la politique ? Erreur cardinale. Il rejette majoritairement ceux qui sont censés la représenter. Par quelle curieuse alchimie ce qui fut l’honneur de la démocratie représentative est battu en brèche par ce divorce entre citoyens et le cœur du pouvoir ? Nul besoin de se triturer plus que de raison l’esprit pour en percer les causes. Sans parler de culpabilité, nul doute que l’Élysée, clé de voûte du régime, est occupé par un président qui en parodiant Talleyrand accumula davantage que les fautes, les erreurs. Sa stratégie du « en même temps » s’achève en lambeau après avoir un temps offert l’illusoire solution. Son avènement bénéficia d’un désamour à l’égard des partis engoncés dans l’inaction sans programme ni vision globale. Cela n’exonère nullement les mandats de celui qui à deux reprises fut élu sans campagne véritable, presque par défaut, en regard de l’insigne faiblesse des oppositions. Jupiter vint. Il aspirait à détruire ce qu’il nommait le vieux monde au bénéfice d’une modernité fantasmée, décrétée dans la splendide solitude qui sied à celui qui se targuait d’être le maître des horloges. Longtemps interventionniste à l’excès, il s’occupait de tout, les ministres et Matignon faisant le reste. C’est-à-dire rien. Intronisé Mozart de la finance, il théorisa la stratégie de l’offre, privilégiant à l’excès la subvention aux entreprises, qui par ruissellement allaient créer des emplois. Effet d’aubaine pour maints bénéficiaires sans résultats probants. Tout comme le fameux « quoi qu’il en coûte » lors de la pandémie. Elle frappa partout, mais ailleurs et singulièrement en Europe elle n’obéra pas comme chez nous les comptes publics. Puis ce fut la dissolution surprise au lendemain d’une débâcle électorale pour son camp. « J’envoie une grenade dégoupillée dans les oppositions », dit celui qui se targuait d’être un stratège. Elle lui revint en boomerang. Depuis la crise financière hors de contrôle, s’ajoute une balkanisation de l’Assemblée nationale, avec le spectre d’une crise de régime. Macron et ses gouvernements fantômes fréquemment occupés par des illustres inconnus ne put enrayer la néfaste spirale qu’il contribua à initier. La créature échappa à l’apprenti sorcier. Sans l’ombre d’une autocritique, il changea de stratégie pour s’impliquer dans les problèmes du monde. Mais là aussi sa voix s’avère inaudible, et ses admonestations contre Netanyahou, Trump, Poutine et d’autres demeurent lettres mortes. Et son nouvel uniforme de chef de guerre putatif provoque une incrédulité teintée d’ironie. Assurément et selon la maxime, il n’y a pas loin du Capitole à la roche tarpéienne. Un président démonétisé ? D’aucuns l’affirment sans ambages. Dette abyssale ? Profit et pertes avec cet énigmatique propos de Bruno Le Maire, « Un jour vous saurez la vérité. » Pour quelqu’un qui occupa Bercy durant sept années, ce chant du départ est une fausse note à l’élémentaire dignité. Dans cet immense gâchis aux trois-mille-trois-cents milliards d’euros, les députés poursuivent leurs jeux interdits nourris d’invectives et de thérapies élaborées dans l’urgence. Mais chacun sait que ces cache-misères dissimulent à droite, à gauche et au centre, que les regards sont braqués vers la présidentielle que les diverses écuries préparent. Le malheur de la France attendra. Il n’est pour s’en rendre compte qu’à percevoir les duels internes à chaque mouvance. Retailleau et Wauquiez, Mélenchon et Faure. Darmanin et Attal. Au Rassemblement national, cela est plus feutré, mais il n’épargne pas Le Pen et Bardella. L’une plutôt ouverte au social, l’autre adepte du libéralisme à tout crin. Analyses sériées ou à l’emporte-pièce, populistes aux accents constructifs, se rejoignent pour souligner que le roi est nu. Pis encore et cela n’est que peu évoqué, dans la Constitution le chef du gouvernement est le fusible du Président. Désormais, ce n’est plus le cas. À force d’en changer le voilà en première ligne. Et la rumeur enfle pour dire qu’il est non seulement le responsable mais également le problème. La situation suscite le courroux général des entrepreneurs aux salariés en passant par la jeunesse et les retraités. Tous écrivent leur cahier de doléances. Les griefs sont spontanés, parfois de veines antagonistes, et le « Bloquons tout » est un mot d’ordre nébuleux qui exclut syndicats et formations politiques. Un désaveu cinglant pour ces derniers ravalés au rang de témoins impuissants à cette jacquerie des temps modernes. Là est le danger. Ici est le risque que ces récriminations éparses se coagulent en une revendication unique habillée de dégagisme. Parlementaires ou exécutif sont-ils vraiment imprégnés du rejet fracassant dont ils sont la cible ? Nouveau gouvernement ou dissolution ne seront que cautères sur jambe de bois sans une ardente volonté politique d’œuvrer enfin pour le pays, comme le requiert leurs mandats électifs ou leurs fonctions. De Gaulle à la Libération forma un gouvernement d’union, allant de la droite aux communistes. Il appliqua le programme du comité national de la Résistance baptisé « Les jours heureux ». Un volontarisme qui redressa un pays décimé et ouvrit la voie aux Trente Glorieuses. Ce qui fut possible naguère serait-il inaccessible utopie aujourd’hui ? Nullement si nos édiles daignent enfin se hisser à la hauteur des enjeux. Et ainsi contredire Gramsci qui affirmait « L’histoire enseigne mais elle n’a pas d’élèves ».