Jeunes et désenchantés
À la uneQuand les jeunes pensent que c’était mieux avant. Seraient-ils « réacs » avant l’âge ? C’est ce qui ressort en substance d’une enquête réalisée par Frédéric Dabi et Stewart Chau intitulée La Fracture, parue aux éditions Les Arènes.
Par Vincent de Bernardi
En s’appuyant sur l’enquête « Nouvelle Vague » réalisée tous les 10 ans par l’Ifop depuis 1957, et qui était restée dans les cartons depuis près vingt ans, ils l’ont ressuscitée en interrogeant 1 500 jeunes de 18 à 30 ans. Et les résultats sont édifiants.
Un jeune sur trois estime que vivre dans cette époque est une malchance. Comparée aux générations précédentes, la jeunesse de 2021 apparaît désenchantée et résiliente. Elle exprime de l’inquiétude et l’indice de bonheur dégringole. Le niveau de bonheur des jeunes interrogés atteint un niveau historiquement bas. Ainsi, alors qu’à partir de l’année 1957 le niveau de bonheur des jeunes Français n’avait cessé de croître jusqu’en 1999 (95% se déclarant à cette époque « heureux »), il apparaît en net recul en 2021. Aujourd’hui, « 84% des jeunes se déclarent heureux, un score en recul de 11 points », observent Frédéric Dabi et Stewart Chau. Parmi eux, 19% seulement se disent « très heureux », soit une chute impressionnante de 27 points.
Et seulement 47% des 18–30 ans affirment que vivre aujourd’hui constitue une chance. C’était 83% en 1999. En parallèle, le sentiment de « malchance » de vivre à l’époque actuelle a tout simplement doublé en vingt-deux ans. Aujourd’hui, près d’un jeune sur trois (30%) considère que vivre à notre époque est plutôt une malchance, un score qui n’avait jamais dépassé les 18% à chaque vague d’enquête depuis sa création en 1957.
Futur effrayant
Époque maudite. Toutes et tous partagent ce sentiment de malchance. Ce constat vient par ailleurs corroborer celui dressé par une récente étude de la revue scientifique Lancet Planetary Health, dans laquelle on apprend que les trois-quarts des 16–25 ans jugent le futur « effrayant ».
Face à ce tableau particulièrement sombre, rien d’étonnant à ce que la prochaine élection présidentielle n’intéresse guère les 18-30 ans. Traditionnellement, cette catégorie vote moins que les autres. Mais cette fois-ci, le phénomène pourrait encore s’accentuer. Pour les auteurs de l’étude « voter serait vain ou inutile dans la mesure où l’élection considérée ne changerait rien pour la société comme pour la situation personnelle de l’électeur ». En 2017, 49% des interrogés mettaient en effet en avant cette raison pour expliquer leur éventuel refus de voter, bien plus que d’autres facteurs historiquement présents comme l’inadéquation de l’offre électorale ou la protestation à l’égard du pouvoir ou du système.
Ces résultats laissent penser à une abstention record à l’élection présidentielle de 2022, près de 6 jeunes sur 10 âgés de 18 à 24 ans envisageant de ne pas aller voter au scrutin d’avril prochain. Pour rappel, en 2017, l’abstention chez les moins de 25 ans avait atteint un score de 32%. « L’envie la plus intense de voter à la prochaine élection émane des sympathisants du Rassemblement national (62% de participation) et non des camps traditionnels de gauche (42%) et de droite (47%) », soulignent les auteurs de l’étude.
Vision écologique
Même si l’enjeu écologique est particulièrement présent dans les préoccupations de la jeunesse, au point de constituer une partie de leur identité, ce n’est pas par l’élection qu’elle trouve une réponse des politiques à la hauteur pour sauver la planète. L’enjeu est pour eux à la fois local et mondial, concernant, dans cet ordre, les citoyens, l’État et les entreprises. 72% des 18-30 ans se déclarent ainsi engagés contre le changement climatique, un résultat notable par son ampleur et son unanimité.
Oui, il y a bien une fracture générationnelle en France. La génération sacrifiée de la crise du Covid se cherche. Quand l’action politique n’est plus vue comme un levier d’émancipation, l’action écologique pourrait prendre le relais, en dehors des cadres établis. Plus pragmatique que leurs aînés, les jeunes de 2021 cherchent leur propre voie.
exergue 1 si besoin
Aujourd’hui, un jeune sur trois pense que vivre à notre époque est plutôt une malchance. Et près de six sur dix, âgés de 18 à 24 ans, envisagent de ne pas aller voter à la présidentielle.
exergue 2 si besoin
Quand l’action politique n’est plus vue comme un levier d’émancipation, l’action écologique pourrait prendre le relais.